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toujours vibrante, le cri d’un cœur passionné, l’hymne d’une âme naturellement harmonieuse.


Ces vers inspirés accusent la triomphante rentrée en scène du pur lyrisme, c’est-à-Jire de la poésie personnelle. C’est aussi bien le phénomène auquel nous assistons depuis quelques années : et c’est par où se ressemblent les œuvres des plus jeunes de nos poètes. Ils « écoutent dans leur cœur l’écho de leur génie. » Ils nous disent une à une les émotions que la vie leur apporte. M. Fernand Gregh n’at-il pas commencé dans la Maison de l’Enfance[1] par traduire les sensations de ses premières années et en dégager ce qu’elles contenaient de charme poétique ? C’est un thème déhcieux. L’enfance est une incomparable ouvrière de poésie. Si les littératures primitives sont tout imprégnées de poésie c’est qu’elles sont l’œuvre d’une humanité qui ouvre sur le monde et sur la vie des yeux d’enfant. Les sens ne sont pas encore émoussés, l’esprit n’est pas desséché par le travail de l’analyse : l’imagination perçoit, à travers l’ensemble des êtres et des objets, des correspondances dont plus tard nous aurons peine à retrouver la signification. C’est alors que naissent comme d’eux-mêmes les mythes, les symboles, tout le trésor des contes profonds en leur naïveté et des légendes si vraies sous un air de fantaisie. Ce phénomène, chacun de nous le renouvelle en quelque mesure pendant les années si courtes de son enfance. Pour nous aussi tout est nouveau et tout est merveilleux. Nous allons de surprises en surprises et l’étonnement s’achève en admiration. Les événemens les plus ordinaires prennent à nos yeux une importance considérable, et les objets les plus modestes des proportions démesurées, car c’est à notre taille que nous les comparons. Et comme nous sommes sans cesse vaincus dans notre lutte avec le monde extérieur, nous le peuplons volontiers d’êtres fantastiques et de puissances ou bienveillantes ou mauvaises. Nous vivons, et nous respirons dans le mystère. Nous arrive-t-il plus tard de revoir la maison où s’est passée notre enfance ? Nous avons peine à la reconnaître, et sa réalité ne répond guère à l’image que nous en avions gardée. C’est que nous avons changé, et l’inutile effort que nous faisons pour retrouver dans les lieux qui nous sont chers et dans leur décor familier nos impressions de jadis, nous atteste que déjà, et si jeunes soyons-nous, une partie de notre existence appartient au passé, une partie de nous-même appartient à la mort.

  1. Fernand Gregh. La Maison de l’Enfance, 1 vol. Calmann-Lévy.