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Cour s’était, peu après, transportée à Fontainebleau, et la vie y était plutôt triste. Non seulement la Duchesse de Bourgogne ne regrettait pas l’absence de ses plaisirs ordinaires, mais il semblait qu’elle voulût les remplacer par des occupations plus sérieuses. « Ne craignez point, Madame, écrivait Mme de Maintenon, le 1er juillet, à la princesse des Ursins ; notre Princesse ne sera jamais savante ni bel esprit. Elle s’amuse à faire discourir devant elle et ne pousse pas son étude bien loin... Il me semble qu’une teinture légère de toutes les sciences est un aussi bon amusement que de jouer toute la journée[1]. » La Duchesse de Bourgogne poussait cependant cette teinture assez loin pour écrire une lettre en latin à son mari. Elle joignait même à ses études un peu de philosophie ; mais, disait en plaisantant Mme de Maintenon, « cette philosophie ne tiendra pas, » En effet, et on lui en sait gré, elle prit aussi peu philosophiquement que possible les mésaventures de son mari. « M. le Duc de Bourgogne a de bien sottes gens autour de lui, » avait-elle dit à haute voix, le jour même où la nouvelle du désastre d’Oudenarde parvint à la Cour. D’instinct elle avait deviné qu’il fallait faire retomber sur ces sottes gens la responsabilité qu’on voudrait au contraire imputer tout entière au Duc de Bourgogne ; et, dès qu’elle vit la cabale déchaînée contre lui, elle déploya pour tenir tête aux médisans une ardeur dont Mme de Maintenon, toute disposée qu’elle fût à la juger favorablement, s’étonnait cependant elle-même.

« Elle montre dans toute cette triste occasion, écrivait-elle encore à la princesse des Ursins, les sentimens d’une bonne Française, que je lui ai toujours connus, comme j’avoue que je ne croyais pas qu’elle aimât M. le Duc de Bourgogne au point où nous le voyons. Sa tendresse va jusqu’à la délicatesse, et elle sent vivement que la première action où il s’est trouvé ait été malheureuse ; elle voudrait qu’il se fût exposé comme un grenadier, et qu’il en fût revenu sans une égratignure ; elle sent la peine où il est du malheur qui est arrivé ; elle partage toutes les inquiétudes que sa situation présente doit lui donner ; elle voudrait une bataille que l’on gagnât, elle la craint ; enfin, rien ne lui échappe, et elle est pis que moi[2]. » Et dans une autre lettre : « Notre chère Duchesse de Bourgogne n’a plus de joie ; j’en dis un mot à la Reine : il n’y a plus de philosophie qui puisse

  1. Lettres de Madame de Maintenon et de la princesse des Ursins, t. II, p. 273.
  2. Lettres de Madame de Maintenon et de la princesse des Ursins, t. II, p. 281.