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première fois, c’est à Venise, un jour d’été, que j’ai rêvé souvent d’entendre le Messie.

Plus que Carissimi, mais comme lui, Hændel est historien et dramaturge. On pourrait définir ses oratorios des « histoires sacrées » élevées à la dernière puissante, portées au comble de la force et de la majesté. Les ressources, les proportions se sont prodigieusement accrues depuis Carissimi ; le sentiment ou l’idéal a peu changé.

Hændel est le musicien d’Israël et de tout Israël : de ses capitaines, de ses prophètes, de son peuple et de son Dieu. Quand les maîtres modernes ont été bibliques, — je pense au Meyerbeer du troisième acte du Prophète et surtout au Saint-Saëns de Samson et Dalila, — c’est de Hændel qu’ils se sont inévitablement souvenus. Hændel, lui aussi, nous a laissé parmi ses oratorios dramatiques un admirable Samson. Il serait facile et curieux de le jouer à l’Opéra. Les deux chefs-d’œuvre se feraient ainsi l’un à l’autre des lendemains glorieux.

On rapporte qu’après la première exécution du Messie, un grand seigneur étant allé féliciter Hændel et le remercier du plaisir qu’il venait de causer à l’assistance : « Je serais bien fâché, mi lord, répondit-il, si je ne faisais que plaisir à l’humanité : je prétends la rendre meilleure. » Il la rendrait héroïque, si l’humanité savait entendre ses chants. Un journal du temps a dit de l’oratorio de Saül « que cette musique mériterait d’être conservée rien qu’à cause de son étonnante puissance à soulager la douleur par la glorification de la douleur. » Le mot de « glorification » résume assez bien le génie de Hændel. Par lui tout devient rayonnant et splendide. Son œuvre, même tragique, est un festival éternel, une apothéose sans fin et presque sans ombre. Glorieuse, — il n’y a décidément pas d’autre mot, — glorieuse est la douleur de Samson aveugle ; glorieuse encore est sa mort. C’est dans le mode majeur que retentit la marche accompagnant ses funérailles, et ce mode seul est le signe d’un trépas sans faiblesse. Un lamento mineur la précède : la foule gémit et pleure ; mais, quand le mort lui-même paraît, alors le majeur éclate. L’héroïsme du héros lui survit, et cela fait penser à certains traits de Bossuet, du Bossuet non pas des Méditations sur l’Évangile, mais des Oraisons funèbres : « On trouve tout consterné, excepté le cœur de cette princesse. »

Judas Macchabée n’est pas moins héroïque que Samson ; il