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L'ERREUR DU XVIIIe SIÈCLE

Quand je dis « l’Erreur du XVIIIe siècle, » il en a certes commis plus d’une, dont nous portons encore la peine, et qu’il y a lieu de craindre que l’avenir ne répare jamais. Dans l’histoire des peuples, il y a des erreurs irréparables, comme dans l’histoire des individus, et ce ne sont toujours ni les plus apparentes ni celles qu’on se reproche le plus : il arrive même quelquefois que l’on s’en fasse gloire ! Mais l’erreur que je veux dire, et que je considère comme l’une des plus graves, — parce qu’après les avoir engendrées, c’est elle qui commande la plupart des autres, — est celle qu’Auguste Comte a dénoncée jadis, dans un passage de son Cours de philosophie positive, que j’avais récemment l’occasion de citer[1], et dont je voudrais mettre aujourd’hui l’importance en lumière. Il y a plus de choses qu’on ne le croit dans la philosophie d’Auguste Comte : il y a surtout plus de lecture, plus d’érudition, plus de connaissances précises et concrètes que n’y en ont su discerner quelques-uns de ses critiques. « M. Comte n’entend rien aux sciences de l’humanité, parce qu’il n’est pas philologue : » c’est une phrase d’Ernest Renan, qui faisait infiniment moins de cas de « M. Comte » que de Victor Cousin. Je voudrais montrer ce qu’il y a d’injuste dans ce jugement ; et, pour le montrer d’une manière qui n’ait rien de philologique, je voudrais montrer de quelle vive lumière les affirma lions générales et prétendues a priori du philosophe éclairent dans leurs profondeurs quelques-unes des réalités de l’histoire des idées.

  1. Voyez la Revue du 15 juin.