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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/668

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d’après ses lectures, à savoir si les suints du calendrier breton avaient réellement vécu d’une vie historique et non légendaire, autrement dit s’ils avaient été vraiment les premiers défricheurs du sol armoricain et les premiers fondateurs de la nationalité bretonne. Et sur ce point sa conviction fut si vite établie que dès 1850, au Congrès de Morlaix, il étudiait, avec une science qui étonna tout le monde, la valeur historique des actes des saints bretons. Ce fut sa première enquête scientifique, sa première victoire de paléographe, et cette victoire était d’autant plus grande qu’il avait eu l’honneur insigne de convertir à son opinion le directeur même de l’Ecole des Chartes. Il n’en tira, d’ailleurs, aucune gloriole, sachant que succès oblige autant que noblesse, et toute sa vie nous le verrons suivre avec une attention voisine de l’inquiétude la publication plus ou moins espacée des documens d’origine celtique qui se rapportaient à sa thèse.

Car, — il faut bien que je le dise ici, — il lui manquait pour être complet la connaissance de la langue bretonne. Etant né en pays gallo, il avait négligé d’apprendre le breton, et je me souviendrai toujours de la surprise que lui en marqua Renan, lorsqu’il alla solliciter sa voix pour entrer à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Henan, qui avait lu ses travaux sur les saints de Bretagne et qui les tenait en haute estime, avait voulu, après les complimens d’usage, engager avec lui la conversation en breton, comme il aimait à le faire avec Jules Simon quand ils causaient du pays. M. de la Borderie dut lui avouer qu’il ne parlait pas plus le dialecte de Tréguier que celui de Vannes. Et j’entends encore l’illustre auteur des Origines du christianisme lui dire d’une voix grave, en se penchant vers lui, les deux mains posées à plat sur ses genoux : « Cela a dû vous gêner souvent, cher monsieur de la Borderie ! »

Effectivement, cela l’avait gêné beaucoup. Faute de savoir le breton, il n’était jamais allé en Angleterre et en Irlande où abondent les manuscrits d’origine celtique, et c’est pour cela même que jusqu’à la fin de sa vie, il surveillait avec tant d’attention les documens scotiques (irlandais) qui paraissaient de loin en loin dans les revues étrangères.

À sa sortie de l’Ecole des Chartes (1853), il avait obtenu une mission pour dépouiller les archives de la Loire-Inférieure. Il y passa cinq années et lira de véritables trésors des papiers de la Cour des comptes et des vieilles chartes de nos ducs, mais il n’y