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quelques arrivistes du Midi. Nous cesserions d’être Bretons le jour où nous ne serions plus Français !… »


II. — L’HAGIOGRAPHE.

L’hagiographie n’est peut-être pas la partie la plus importante et la plus originale de l’œuvre de M. de la Borderie, mais c’est à coup sûr celle qui a le plus contribué à faire sa réputation et qui lui a conquis le plus de suffrages dans le monde savant. J’ai dit que, dès sa prime jeunesse, la vie des saints de Bretagne l’avait préoccupé beaucoup. Cela prouve qu’il était doué d’un grand sens historique, car il serait aussi difficile d’écrire l’histoire véridique de la péninsule de Bretagne en négligeant son hagiographie, que de bâtir un temple sans fondemens. Du reste, il n’est pas le seul de nos écrivains que la vie des saints de Bretagne ait séduits et charmés. Brizeux et La Villemarqué les ont célébrés en vers et en prose dans deux très beaux livres : les Bretons et le Barzaz-Breiz[1], et Renan leur a consacré quelques pages exquises dans ses Souvenirs d’enfance et de jeunesse. Tous les trois, évidemment, avaient lu les Vie des saints de la Bretagne-Armorique par Albert le Grand ou par Dom Lobineau, mais avant de connaître leur histoire, ils avaient entendu raconter leurs légendes, ils les connaissaient par leurs miracles et les mille particularités de la dévotion populaire. Enfans, ils avaient regardé curieusement plus d’une fois, par la porte mal jointe ou par la rosace à moitié démolie de leurs chapelles votives, les statues grossièrement enluminées et taillées en plein bois à coup de serpe, de saint Gildas, saint Budoc, saint Guénolé, saint Tugdual, saint Jacut, saint Renan, saint Briac, saint Gulstan, saint Corentin, etc. Ils avaient vu les gars et les filles de leur canton, de leur paroisse, jeter dans ces chapelles écartées et comme enveloppées de mystère, un nombre déterminé d’épingles et d’aiguilles pour conjurer le mauvais sort en matière d’amour. Ils savaient que des malades réputés inguérissables avaient laissé au pied de leurs autels leurs écrouelles ou

  1. Se rappeler entre autres le chant populaire inspiré par la bataille des Trente. Les Bretons invoquent saint Cado et lui promettent, en retour de son assistance, « une ceinture et une cotte d’or, une épée et un manteau bleu comme le ciel ; » et tout le monde dira en le regardant : « Au paradis, comme sur terre, saint Cado n’a pas son pareil ! »