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que ces cathédrales se soient dressées toutes seules comme par miracle, et la légende veut que quelques-unes d’entre elles et non des moindres aient été l’œuvre orgueilleuse » et triomphante du diable. Mais aujourd’hui que la curiosité publique s’exerce sur tout, on ne croit pas plus au diable architecte qu’on ne croit au maître de l’œuvre anonyme. Nous savons déjà par M. de la Borderie que l’architecte de la cathédrale de Tréguier se nommait Gouéder et que celui de la cathédrale de Nantes avait nom Mathurin ou Mathelin Rodier. Comment se fait-il que leurs noms ne soient pas arrivés jusqu’à nous par la voie ordinaire et qu’il ait fallu les tirer de la poussière et de l’ombre des archives ? Cela vient, j’imagine, de ce qu’ils appartenaient à la classe populaire et qu’on ne les regardait eu ce temps-là que comme des maîtres maçons. La preuve en est dans les honoraires dérisoires qu’ils recevaient de ce chef. Il appert d’un document publié par M. de la Borderie que Malhurin Rodier devait recevoir chaque jour pour sa peine un blanc de plus que les autres ouvriers, et, de plus, chaque année, pour sa femme une robe de la valeur d’un marc d’argent. Mais il faut croire que cela représentait une somme énorme, puisqu’en 1455, vingt ans après la pose de la première pierre, Rodier se plaignait de n’avoir reçu ni la robe ni le blanc, et réclamait 150 livres pour arrérages. Il lui en fut accordé 120, sur lesquels 10 devaient être consacrées à l’achat d’une robe pour sa femme. En ce temps-là, les gens du peuple, ayant peu de besoins, se contentaient de peu, comme le sage, et c’est heureux, car, si la main-d’œuvre avait coûté aussi cher que de nos jours, nous n’aurions jamais eu les merveilleuses cathédrales, ni les saintes chapelles dont nous sommes si fiers.

C’est surtout au XVe et au XVIe siècle, de 1420 à 1589, que furent élevées en Bretagne la plupart des chapelles, — et on les compte par centaines, — qui sont l’objet de l’admiration et de la vénération publiques. Et la raison en est toute simple : c’est que durant les cent soixante-dix ans compris entre ces deux dates les Bretons vécurent dans une paix profonde et firent profiter leurs vieux saints de leur longue prospérité.

Si jamais vous passez par Saint-Caradec Trégomel, sur la route de Faouet à Guéméné, donnez-vous la peine d’entrer dans la chapelle de Notre-Dame de Kernascleden : vous en serez récompensé par un des plus charmans spectacles que l’on puisse voir, les deux frères Bail, qui en furent les architectes vers 1460,