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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/692

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principes, optimales, boni viri, se réunissaient en assemblée et remplissaient le rôle dévolu plus tard à la fabrique ; ils exerçaient en outre, dans certains cas, une juridiction gracieuse ; ils formaient un jury d’enquête destiné à éclairer la juridiction du comte ou du machtiern et ils leur étaient même parfois substitués par voie de délégation pour la juridiction contentieuse.

Cette organisation quasi patriarcale, et qui devait être en grande partie l’œuvre des saints bretons des Ve et VIe siècles, resta en vigueur jusqu’aux invasions normandes. L’occupation normande dura environ trente ans. Lors du retour des émigrés, il fut impossible, dit M. de la Borderie, de reformer les anciens liens des tribus, et les Bretons appliquèrent à leur pays les institutions féodales qu’ils avaient vues fonctionner en France et en Angleterre, où ils s’étaient réfugiés. En face de la faiblesse du pouvoir central, on eut recours au patronage ; les faibles se groupèrent autour des forts par un contrat, et l’on rétablit sur ces principes une forme de société. Le vieux régime celto-breton disparut avec le machtiern et le plou, et céda la place au régime franco-breton, c’est-à-dire au régime féodal. Il ne reste de ces temps primitifs que de rares monumens dispersés sur le sol : quelques lec’hs (transformation du menhir celtique), dont celui qu’on voit dans l’île Locoal (Morbihan) et qu’on appelle la Pierre du Moine (Men Manac’h), parce qu’il ressemble à un moine, tête rase, vu de dos ; des croix grossièrement taillées ; quelques sarcophages, et ça et là, dans l’île Lavret, près de Bréhat, ou dans l’île Modez, des ruines souterraines d’anciens monastères.

Cependant, il y a une dizaine d’années, on a découvert à Bennes une des larges brèches, fermées par des briques alignées à la manière romaine, que le roi Nominoë avait ouvertes dans le mur d’enceinte quand il s’empara de la ville, en 850. Ce sont là des reliques vénérables, car, ainsi que le disait M. de la Borderie, c’est par cette brèche qu’au milieu du IXe siècle, pénétra l’idée bretonne, à laquelle la vieille cité de saint Mélaine demeura toujours attachée.

Le roi Nominoë est la grande figure de ces temps à moitié barbares, quelque chose comme le Clovis de la Bretagne, celui qui, dans la sanglante bataille de Ballon gagnée sur Charles le Chauve, libéra son pays du joug des Francs. Par malheur, il ne vécut pas assez. Frappé d’un mal subit au moment où son armée, chargée des dépouilles du Maine et du Vendômois, allait marcher