Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/725

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nouvelle. Pour tous ces motifs, lord Salisbury inspirait confiance à ses compatriotes et à l’étranger. On croyait, on aimait à croire que certaines choses seraient impossibles aussi longtemps qu’il serait au pouvoir, et, bien que cette confiance ait été quelquefois déçue, elle n’en persistait pas moins. On a vu ce que lord Salisbury n’avait pas empêché, mais peut-être a-t-il empêché beaucoup sans qu’on le vit. La durée aussi bien que l’importance de ses services, et le fait qu’il était le dernier représentant de la génération qui avait fourni tant de grands ministres à la reine Victoria, l’avaient investi d’une autorité sans égale. Son indolence même, qui était naturelle et réfléchie, la force d’inertie qu’il opposait à certaines entreprises téméraires, le poids de sa parole et quelquefois même de son silence, étaient un obstacle ou un frein avec lequel il fallait compter. Tout cela disparaît avec lui, ou du moins ne se retrouvera qu’assez atténué chez son successeur, car il faut de longues années pour constituer à un homme politique, quel que soit son mérite, une pareille somme d’autorité.

M. Arthur Balfour n’en dispose pas encore. L’incertitude même où a été l’opinion pendant quelques heures au sujet de la succession de lord Salisbury, et le nombre de personnes dont les noms ont été mis en avant pour la recueillir, montrent qu’aucun choix ne s’imposait d’une manière absolue. Quand lord Beaconsfield est mort, il n’y a pas eu une seconde d’hésitation ; tout le monde savait que lord Salisbury lui succéderait. Le jour où lord Salisbury lui-même a annoncé sa retraite, son héritage politique n’a pas été dévolu à M. Balfour par une désignation aussi nette, ni aussi unanime, de l’opinion. Nous croyons néanmoins que ce choix était le meilleur de tous. M. Balfour, neveu et homme de confiance de lord Salisbury, était depuis longtemps déjà le leader du parti conservateur à la Chambre des communes, et, s’il n’a pas été exempt de critiques dans la manière dont il a rempli ces délicates fonctions, il y a fait preuve d’une courtoisie que ses adversaires ont reconnue, d’un jugement élevé, d’un talent de parole très apprécié. Philosophe, théologien même, il s’est préparé à la politique en appliquant son esprit à tous les exercices où il pouvait acquérir plus de force et de souplesse. Né en 1848, il est aujourd’hui dans toute la vigueur de l’âge, et il a devant lui une longue carrière. Nul n’a été mieux préparé au rôle qui lui incombe, et on peut être assuré qu’il s’en acquittera avec honneur. Il aura peut-être un jour l’autorité de lord Salisbury ; il ne l’a pas encore, et le danger, il faut bien le dire, est que le parti conservateur n’éprouve, en attendant, quelques-unes des difficultés intérieures qui ont été si lamentablement funestes