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la reproduction, entre la faim et l’amour, primitivement confondus, il ne s’en produit pas moins à la fin une antithèse, qui se traduit par un rythme dans la vie des organismes. Les naturalistes nous montrent, à ce sujet, la plante ayant d’abord une longue période de croissance végétative, puis florissant soudain et parfois s’épuisant dans sa fleur, comme le lis tigré ou l’agave. La fleur occupe d’ailleurs le bout de l’axe végétal, qui est le plus loin de la source de nourriture, si bien que, en exagérant un peu, on pourrait l’appeler « le point de la famine[1]. » Au moins est-il vrai de dire, croyons-nous, qu’elle est le point de la plus forte et active dépense. Chez certains animaux, comme le saumon et la grenouille, les périodes de nutrition active sont suivies de temps de jeune, au bout desquels a lieu la reproduction. La pondaison et la mise à fruit, les périodes de nutrition et les crises de reproduction, la faim et l’amour doivent être interprétés, a-t-on dit, comme des flux et reflux de vie, expression du rythme fondamental entre la construction et la dépense, le repos et le travail, le sommeil et la veille. Ces flux et reflux, du côté du protoplasme, se traduisent en « anabolisme » (ou processus d’assimilation) et « catabolisme » (ou processus de désassimilation). Ce sont les balancemens du pendule de l’organisme.

Considérée psychologiquement et moralement, la génération a son côté, sinon égoïste, du moins individualiste ; mais, comme nous l’avons vu, elle donne naissance à un autre être, qui est relié au premier : 1° dans l’espace ; 2° dans le temps ; 3° dans l’ordre de la causalité, puisque le premier se sent plus ou moins vaguement producteur du second ; 4° dans l’ordre de la similitude, puisque le premier se reconnaît encore lui-même dans le second ; 5° dans l’ordre de la finalité, puisque beaucoup de besoins leur sont communs. Il en résulte immédiatement une tendance toute particulière à la sympathie et, par cela même, à la synergie.

En outre, le fait essentiel de la reproduction est la séparation d’une partie de l’organisme parent, destinée à commencer une vie nouvelle ; or, cette séparation suppose une rupture, une sorte de crise et, matériellement, de sacrifice. La division cellulaire, qui est parfois le résumé de l’acte de la reproduction et qui l’accompagne toujours, est un abandon d’une partie de soi, comme une mort de cette partie au profit du reste. Parfois même, la

  1. Geddes et Thomson, l’Évolution des sexes, Paris, Reinwald, 1898.