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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/833

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résume l’idée qu’on doit garder de lui, de son âme délicate et ingénue, de son talent, un des plus forts et des plus tendres qui furent jamais.

Né vers 1480 à Serinalta, dans le voisinage de Bergame, Jacopo Palma avait été probablement le condisciple de Giorgione dans l’atelier de Bellini. Venu comme lui de bonne heure à Venise, il devait, comme lui aussi, conserver toute sa vie le souvenir de sa contrée natale, l’une des plus pittoresques de la Haute-Italie. Située au confluent des vallées du Brembo et du Serio, au cours impétueux, cette contrée, réputée de tout temps pour sa beauté, réunit aux aspects imposans des hautes montagnes qui l’abritent du côté du Nord et au voisinage des grands lacs, les horizons ouverts d’une plaine riante et riche en productions de toute sorte. Sans s’attacher à en reproduire avec une complète exactitude des localités déterminées, Palma n’a pas cessé de s’en inspirer et de lui faire, avec le temps, une place de plus en plus grande dans ses œuvres. C’est elle qui lui fournit les fonds de ses tableaux et qui ajoute sa grâce aux compositions religieuses de l’artiste, aussi bien qu’à ces figures de saintes et à ces portraits de femmes dans lesquelles le plus souvent nous retrouvons un type pareil, celui de ces Vénitiennes replètes et de forte encolure, au visage un peu rond, aux joues vermeilles, aux molles et blanches épaules et à l’opulente chevelure d’un blond doré, qui vous accueillent de leur sourire dans la plupart des collections de l’Europe. C’est encore ce type que nous reconnaissons dans un de ses ouvrages les plus originaux, la Rencontre de Jacob et de Rachel de la Galerie de Dresde. Si en dépit de ses mérites, cette gracieuse idylle ne nous offre ni la fantaisie imprévue, ni le magnifique éclat de Giorgione, elle a du moins le caractère de simplicité champêtre qui convenait à un pareil sujet. Dans le choix heureux du motif, dans les lignes aimables du paysage, aussi bien que dans ses généreuses colorations, tout donne à cette transposition en dialecte bergamasque d’un des plus poétiques épisodes des livres saints, un charme de pénétrante rusticité. Même en se défendant des confusions qui parfois ont été faites entre Palma et Giorgione ou Titien, on les comprend en face d’une œuvre semblable ; elles méritent en tout cas à l’artiste l’honneur d’être cité après eux comme un des maîtres les plus accomplis de l’école vénitienne dans sa pleine maturité.