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d’alerte. Elle y revint d’elle-même le quatrième jour, et il ne fut plus question d’avoir du chagrin, ni même de l’humeur ; du moment que la place était « bonne et forte, » la princesse prenait son parti des fenêtres éventrées, des plafonds étayés, des portes absentes et de tout le reste. Les grandes dames du XVIIe siècle n’en étaient pas à cela près. Mademoiselle campa dans un « grenier » tandis que l’on réparait l’appartement au-dessous, en fut réduite à emprunter un lit, et recouvra toute sa gaîté devant la bouffonnerie de la situation pour une cousine-germaine du roi de France : « Par bonheur pour moi, écrit-elle, le bailli de Saint-Fargeau était marié depuis peu ; ainsi il avait un lit neuf. »

Le lit de Mme la baillive fut la grande ressource du château. On lavait rendu sitôt que la princesse avait eu le sien, qu’on lui apporta de Paris, mais on y envoyait coucher les hôtes de marque, et il en était arrivé un défilé, chose tout à l’honneur de la noblesse française, dès que l’on avait appris où cette illustre disgraciée allait passer son exil. Mademoiselle ne savait où les mettre : on menait les plus importans chez le bailli. La duchesse de Sully et sa sœur, la marquise de Laval, venues ensemble pour un séjour assez prolongé, firent tout le temps la navette entre le grenier où la Grande Mademoiselle tenait sa cour et le « lit neuf » de la ville de Saint-Fargeau. Des femmes de qualité, arrivées au même moment, s’étaient logées où elles avaient pu, au petit bonheur, et il en fut ainsi jusqu’à ce que le château eût été remis en état. Chacun était mal, et personne n’y faisait attention. Il y a de l’élégance dans cette façon hautaine de traiter le « confort : » l’importance qu’il a prise de nos jours semble, en comparaison, bien bourgeoise, dans le mauvais sens du mot.

Peu à peu, tout s’arrangea. Le château fut restauré, les ap- partemens agrandis[1]. Le fouillis de végétation des abords fit place à une terrasse d’où l’on eut la surprise de découvrir une vue charmante. Le Saint-Fargeau des Capétiens et des premiers Valois, « lieu si sauvage, dit Mademoiselle, que l’on n’y trouvait pas des herbes à mettre au pot lorsque j’y arrivai, » devint une belle résidence, hospitalière et animée. La maîtresse du logis

  1. Le château de Saint-Fargeau existe toujours ; mais l’intérieur en a été transformé à la suite d’un grand incendie survenu en 1752. Il ne reste plus rien des appartemens de Mademoiselle. Cf. Les Châteaux d’Ancy-le-Franc, de Saint-Fargeau, etc., par le baron Chaillou des Barres.