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aimait le grand air et le mouvement, comme les aimait toute la noblesse de France avant d’avoir été dressée par la monarchie absolue, dans l’intérêt de l’ordre et de la paix, à ne plus bouger des salons de Versailles. La décadence des muscles a commencé chez nous avec l’obligation de passer ses journées en bas de soie à faire des révérences, sous peine d’être exclu de tout. Les exercices violens furent abandonnés ou adoucis[1] ; on ne s’attacha plus qu’à ce qui donnait au corps les grâces majestueuses en harmonie avec la Galerie des glaces. Les bourgeois s’empressèrent de singer les gens de qualité, et les hautes classes payèrent leurs belles manières, ou leurs prétentions aux belles manières, par les migraines et les maux de nerfs du xviii siècle. Le goût des sports ne devait reparaître en France que de nos jours ; nous venons d’assister à sa résurrection.

Il était encore bien vivant au lendemain de la Fronde, et Mademoiselle s’y abandonnait avec passion. Elle fit venir d’Angleterre une meute et des chevaux de chasse. Elle eut un grand train d’équipages pour les promenades, un jeu de mail devant le château, des jeux d’appartement pour les jours de pluie, ses violons des Tuileries pour faire danser, et il n’y eut pas de cour plus leste et plus fringante, plus allante et plus caracolante. Mademoiselle donnait l’exemple, en personne que rien ne fatiguait jamais, et assaisonnait ces « jeux d’action » de causeries dont quelques-unes nous ont été heureusement conservées par Segrais[2], son secrétaire des commandemens. Nous savons, grâce à lui, même en admettant qu’il ait un peu arrangé ses récits, de quoi l’on parlait à la cour de Saint-Fargeau, et on ne l’apprendra peut-être pas sans quelques étonnemens ; il se disait là toutes sortes de choses que nous n’aurions jamais devinées, car nous nous figurions qu’elles n’étaient pas inventées au XVIIe siècle.

II

Dans cet âge qui passe pour avoir été rebelle au sentiment de la nature, la conversation tombait sans cesse sur le paysage.

  1. Cf. Les sports et jeux d’exercice dans l’ancienne France, par J.-J. Jusserand.
  2. Les Nouvelles françaises ou les Divertissemens de la princesse Aurélie, par Segrais. Paris, 2 vol. 1656-57. La dernière des « Nouvelles françaises », Floridon ou l’amour imprudent, est l’histoire des intrigues du sérail qui amenèrent la mort de Bajazet. Racine l’avait certainement lue lorsqu’il fit sa tragédie.