Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 11.djvu/16

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On s’arrêtait pour admirer les vues, on allait les chercher, et l’on tâchait de s’expliquer pourquoi on les trouvait belles. Les raisons que l’on s’en donnait étaient de gens qui, tout en sachant goûter un grand bois et le « beau tapis de pied » de sa mousse, préféraient aux paysages naturels ceux où se faisaient sentir l’intervention et le travail de l’homme. Un « désert» leur plaisait moins qu’un paysage habité, un site sauvage moins qu’un riant « assemblage » de champs cultivés et de « vergers plantés avec symétrie, » rappelant « l’agréable variété des parterres qui sont faits par l’artifice des hommes. » Mademoiselle vante dans ses Mémoires la vue que l’on avait du bout de sa terrasse. Elle s’essaie à la décrire et s’en tire très mal. Segrais s’y est aussi essayé et ne s’en est tiré qu’un peu moins mal. On ne savait pas, de leur temps ! on n’avait même pas les mots nécessaires pour noter un paysage, puisque aussi bien la gloire de Bernardin de Saint-Pierre a été de créer notre vocabulaire descriptif. En récompense, Segrais a très bien su nous expliquer que la beauté de cette vue qu’il venait de décrire si gauchement tenait pour lui, et pour son entourage, à ce qu’elle avait été trop bien arrangée par le hasard, à ce qu’elle était trop conforme aux règles à paysage classique en peinture, pour avoir l’air d’être l’œuvre de la seule nature. Ni la vallée du Loing, ni le grand étang qui « fermait » ce côté du château, ni l’île de l’étang, avec ses bouquets d’arbres, ni l’église et la petite hauteur que l’on apercevait dans le fond, ne semblaient se trouver fortuitement là où ils étaient : — « Et c’est, écrit Segrais, ce qui représente si fort ces excellens paysages des grands peintres, que tous ceux qui le regardent croient avoir vu cet étang, cette église et cette petite île dans mille tableaux. »

La littérature, celle d’imagination tout au moins, tenait aussi une place considérable dans les conversations. Mademoiselle, qui n’avait jamais rien lu avant d’être à Saint-Fargeau, s’était mise à rattraper le temps perdu. — « Je suis une créature très ignorante, écrivait-elle au début de son exil, qui n’ai jamais lu que les gazettes, n’aimant point à lire : mais dorénavant je m’y veux appliquer et voir si je pourrai aimer une chose de propos délibéré, sans que l’inclination y ait part. Je suis en un lieu où ce me sera un grand divertissement si je réussis dans ce dessein. » Le succès passa ses espérances. Elle se prit de passion pour la lecture dans ce crémier hiver de 1832-1633 où