Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 11.djvu/39

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parce qu’elles contribuèrent, en lui gâtant Saint-Fargeau, à incliner Mademoiselle vers la soumission à la Cour ; mais il suffit de les avoir mentionnées et nous n’y reviendrons pas.

Elle commençait à convenir vis-à-vis d’elle-même de l’imprudence d’être mal à la fois avec la Cour et avec son père. Son obstination à soutenir Condé avait fini par fâcher sérieusement Mazarin. La noblesse le sentait et témoignait moins d’empressement à Mademoiselle. En 1655, elle s’approcha à six lieues de Paris. Elle comptait sur beaucoup de visites ; il en vint fort peu. — « J’avais fait tout le monde malade, dit-elle spirituellement ; car tous ceux qui ne m’osèrent mander qu’ils craignaient de se brouiller à la Cour, feignirent des maladies ou des accidens, de sorte que je n’en ai jamais tant vu. » Le troisième jour, elle reçut l’ordre de « s’en retourner. » Cette mésaventure l’éclaira ; Mademoiselle admit la nécessité de faire sa paix avec la royauté.

Il se trouvait justement que le Prince de Condé devenait moins intéressant pour elle, car ses chances de veuvage diminuaient. Madame la Princesse se rétablissait, et chacun des progrès de sa santé rendait Mademoiselle un peu moins chaude pour M. le Prince. Celui-ci s’en apercevait et changeait aussi de ton. — « Il n’y a pas rupture, dit M. le Duc d’Aumale, mais on peut suivre les progrès du refroidissement et leur concordance avec certaines nouvelles[1]. » Une lettre de Condé, reçue après la course aux environs de Paris, fait pressentir la fin d’une amitié qui, d’un côté au moins, était toute politique.


Bruxelles, 6 mars 1655.

«… Quant à ce que vous me témoignez du changement que vous remarquez en moi, vous me faites en cela beaucoup d’injustice, et il me semble que je suis bien plus en droit de vous en accuser que vous n’êtes, puisque votre long silence et les termes de votre lettre font connaître la différence des sentimens que vous avez à présent à ceux que vous aviez par le passé. Il n’en est pas de même des miens ; ils sont toujours tels que vous les avez connus ; et si vous en croyez autrement et que vous ajoutiez foi aux bruits que mes ennemis font courir de mon accommodement[2], c’est un malheur pour moi et non pas un

  1. Histoire des princes de la maison de Condé.
  2. Avec la Cour.