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hectares de superficie et de 60 kilomètres, de tour, qui a ses courans, ses vagues et parfois ses tempêtes. Plus loin encore, apparaît l’isthme qui sépare du lac salé le lac d’eau douce, dont la teinte jaunâtre, boueuse, décèle la faible profondeur. Voici, parmi les oliviers, l’Oued-Tindja qui réunit les deux bassins, et, fermant l’horizon du côté du sud, la masse sombre, nuancée de bleu par l’éloignement, du Djebel-Iskeul, avec ses forêts où s’abritent les derniers bœufs sauvages de la Tunisie ; vers l’est, une série de collines s’étagent, comme un immense cirque, autour du lac. — Plus près de nous, mais sur l’autre rive du canal et du goulet, ce sont d’abord des jardins entourés de haies de cactus et plantés d’arbres fruitiers ; puis des coteaux, mouchetés çà et là d’oliviers ; les épaulemens d’un fort, les baraquemens et les tentes d’un camp se laissent apercevoir dans la verdure ; on nous montre une maison blanche, d’où l’on embrasse un immense horizon, et qui domine la ville, le lac et la mer : c’est la demeure du consul d’Angleterre. Au loin, des séries de dunes se prolongent vers l’est et vont rejoindre les hauteurs du Ras-Zebib.

Nous redescendons vers la ville et, tandis que le soleil décline, nous longeons les murailles de l’antique Kasbah, qui a succédé elle-même à la citadelle d’Hippo-Zarytos ; la vieille colonie de Tyr s’élevait là, à l’issue du déversoir du lac qui lui servait de port. Comment ne pas rêver d’histoire sur cette terre imprégnée du passé ? Là-bas, au large, ont vogué les trirèmes de Carthage et celles de Rome ; elles se sont abritées dans le vieux port, agrandi et fortifié par Agathocle, comme s’y abritent encore les bateaux légers des pêcheurs de Bizerte. L’armée farouche des mercenaires s’est emparée de la ville ; de ces hauteurs, les Gaulois, les figures, les Grecs ont jeté un regard de regret et d’indicible espérance sur cette mer, qui aurait pu les porter vers la patrie tant regrettée. Bien des siècles plus tard, les nefs du saint roi Louis de France ont dû contourner l’île Cani avant d’aborder la côte tunisienne. Pays de commerçans, de forbans ou de pêcheurs, Hippo-Zarytos, dont le temps a fini par déformer le nom en Benzert et Bizerte, avec son abri naturel, son lac et les bancs de poissons qui y pénètrent à chaque saison, a, depuis les Phéniciens, toujours tenté les peuples maritimes ; ils y trouvaient l’avantage d’un port très sûr, s’ouvrant directement sur cette grande voie commerciale que, dès l’antiquité, les bateaux