ont suivie. Au XVe siècle, Bizerte fut un moment conquise par les Espagnols, au temps où Charles-Quint sembla vouloir poursuivre sur la Méditerranée les musulmans chassés de la péninsule ibérique. Le fort qu’ils ont élevé est aujourd’hui en ruines ; et c’est tout ce qui reste de cette éphémère domination. Reprise par les musulmans, Bizerte redevint un nid de pirates ; ils infestaient les côtes de la Méditerranée, s’aventuraient jusqu’en Provence. Il advint un jour, au début du XVIIe siècle, que les brigantins de Bizerte battirent les galères de Malte : 200 chevaliers furent faits prisonniers. C’est ici, dans la vieille Kasbah, entre ces murs délabrés, auxquels le temps a donné une teinte d’ocre foncée, et dont les créneaux à demi effrités s’écroulent au vent du large, qu’ils furent enchaînés et qu’ils gémirent longtemps, dans les misères du bagne. Ici, dit-on, passa saint Vincent de Paul, esclave d’un Maure de Tunis. Dans la rade, les vaisseaux et les galiotes de Duquesne parurent un jour, bombardèrent la ville et détruisirent les barques des forbans. De toutes ces époques diverses, les dragues de la Compagnie du Port, en approfondissant la rade, ont retrouvé d’étranges reliques : des boulets de pierre et de fer, une longue couleuvrine toute rongée de rouille, des fusils de l’époque de Charles-Quint, des bombes de Duquesne et du chevalier Emo, amiral de Venise, et surtout ce merveilleux plat antique, en or et argent ciselés, que possède le musée du Bardo, épave sans doute de quelque riche trirème.
Nous croisons des indigènes de Bizerte qui, la nuit venant, regagnent leur logis ; ils descendent de leurs jardins et, paisiblement, rentrent leurs maigres récoltes ; un enfant, le long du rivage, pousse, à grands coups de trique, un petit bourricot dont les reins pelés plient sous le faix d’un double sac rempli de sable ; quelques femmes voilées traversent furtivement la rue. Toute cette population d’anciens pirates, de hardis matelots, est aujourd’hui pacifique et paisible ; elle vit, en une curieuse promiscuité, avec les Italiens et les Maltais, qui habitent, comme elle, la vieille ville. Les gens de Bizerte ont un type spécial ; ce sont des sang-mêlés, descendans des femmes qui furent volées, jadis, sur tous les rivages de la Méditerranée ; mais l’Islam a mis sur eux son sceau indélébile.
La Bizerte indigène n’a pas changé d’aspect ; les bouleversemens qui ont donné une autre issue au lac, la naissance d’une cité nouvelle, l’ont laissée presque intacte ; son vieux port