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néral et sur ses bornes infranchissables. Il y a dans la Tragique histoire de Marlowe comme un ressouvenir de la fatalité antique. Après lui, le sujet passera encore de main en main ; Faust sera perdu ou sauvé, selon le courant des idées de chaque époque, selon que son aventure paraîtra plus ou moins noble, plus ou moins coupable. Mais cette aventure sera désormais celle d’un être humain, réel et vivant, avec les rêves qui l’agitent et les éternels problèmes qui le tourmentent. Désormais le drame est dégagé de la légende.


V

S’il est probable que ce furent les comédiens ambulans qui firent connaître le sujet de Faust en Angleterre, il est plus probable encore que c’est par eux que la pièce de Marlowe se répandit en Allemagne. Ils servirent deux fois d’intermédiaires entre les deux pays. Marlowe prélude, à plus d’un siècle de distance, à la grande influence que son contemporain Shakespeare exercera sur le théâtre allemand. Il agit directement sur les pièces populaires, et, par elles, sur la tragédie de Gœthe. Il est hors de doute que, même sans lui, Faust n’aurait pas tardé à monter sur les tréteaux et à prendre sa place dans ce répertoire cosmopolite où les héros de l’antiquité païenne se mêlaient aux personnages de la Bible et aux chevaliers du moyen âge. Mais le drame de Marlowe avait une empreinte trop caractéristique pour ne pas attirer dès l’abord l’attention des organisateurs de spectacles. Certaines situations devinrent, pour ainsi dire, typiques, et furent considérées désormais comme inséparables du sujet.

Tel était, avant tout, le premier monologue de Faust ; l’action ne pouvait s’engager plus naturellement que par ce morne tableau des enseignemens de l’École et par cet appel désespéré à une science supérieure, révélée par la magie. Les deux influences qui se disputent l’âme de Faust continuèrent de se personnifier dans deux anges ou dans deux esprits, dont l’un parlait en voix de soprano et l’autre en voix de basse. Les clowns du théâtre anglais furent remplacés par le personnage comique, le Hanswurst qui excita plus tard la mauvaise humeur de Gottsched, ou le Kasperle viennois qui résista plus longtemps à l’influence classique. Dans les pays catholiques, Méphistophélès n’osa plus apparaître sous la figure d’un moine ; on en fit un gentilhomme