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un rapport direct et permanent entre la plus-value et le chiffre quotidien des heures de travail.

Où donc sera la cause de la plus-value ? Un exemple cité par Deville, d’après Marx lui-même[1], va nous permettre de nous faire une idée schématique du procédé de formation de la plus-value :

Dans les îles orientales où croît le palmier sagou fournissant 3 à 400 livres de farine comestible, l’habitant a besoin d’une simple journée de travail pour vivre une semaine. Quand il a faim et manque de provisions, il s’en va dans la forêt et recueille du sagou comme nos paysans abattent du bois à brûler. Il peut sans danger être insouciant, imprévoyant, paresseux ; certain d’avoir du sagou à discrétion, il ne doit travailler que quand il n’a plus à manger et il ne produit que pour consommer sur place.

Jusqu’ici, pas l’ombre de capital ou de plus-value. Marx dit que si le capital s’introduisait dans l’île, on verrait immédiatement le travailleur créer de la plus-value.

Mais Marx ne recherche nullement comment surgira le capital. Essayons de nous le figurer : dans l’une de ces îles, supposons ou une longue période de paix, qui double la population, ou une longue période de guerre qui la réduit de moitié, ou un incendie qui réduit le nombre des palmiers sagou. L’insulaire n’a plus la chance de pouvoir récolter uniquement pour manger ; il n’y a plus assez de farine pour entretenir toute la population au gré des caprices du consommateur. Si on se borne à suivre les anciens erremens, les uns auront du superflu, les autres manqueront du nécessaire, et, pour qu’une partie des habitans ne meure pas de faim, il faudra ajouter à la production pour la consommation personnelle la production pour l’échange avec autrui et la circulation. Seulement tout cela est précaire, incertain, aléatoire ; des famines, des révoltes, des conflits surgissent jusqu’au jour où les plus intelligens organisent le travail, recrutent des bras pour la récolte, imposent aux travailleurs l’ordre et la discipline, introduisent des machines pour rendre la récolte régulière et rapide, des marchés où l’on concentre le sagou, des agens pour le transporter, d’autres pour le vendre.

Aux habitans récoltant au hasard, en vue de l’usage personnel

  1. G. Deville, Livre cité, p. 214.