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des produits du travail des champs se retrouvent, dit-on, chez le paysan alpin quelques traits du maquignon normand, volontiers peu scrupuleux en affaires : et, souvent aussi, il se montrera négligent et irrésolu dans des transactions commerciales dont il n’a pas l’habitude.

Ces cultivateurs propriétaires ne forment qu’une minorité dans la population rurale : il faut présenter à leurs côtés leurs auxiliaires salariés.

En toute exploitation agricole un peu étendue, où des serviteurs sont nécessaires, les rapports entre maîtres et valets gardent une couleur assez patriarcale ; mais, si l’on en excepte les cajoleries du louage au début de l’année, et les belles paroles intéressées du départ, qui tendent à ménager la bonne renommée de la maison, c’est une rude existence que celle de ces domestiques de ferme, levés dès trois heures du matin, souvent mal nourris, parfois couchés dans le râtelier rempli de foin, où seule l’haleine tiède des animaux de l’étable vient réchauffer leurs membres engourdis. Les gages, qui ne s’élèvent guère au-dessus de trente florins par an, permettent de calculer que toute la vie de travail d’un homme robuste ne lui vaut pas en argent comptant plus de onze cents florins : c’est à peine le salaire annuel moyen de l’ouvrier de Paris. Pourtant, ces humbles auxiliaires ne sont pas en somme plus mal partagés que les membres de la famille et que le patron lui-même : ils mangent à la même table, sont habillés des mêmes vêtemens, et on les voit souvent demeurer sous le même toit, depuis leur naissance jusqu’à leur mort, satisfaits de leur sort ici-bas. Seules les joies de la famille leur sont parfois interdites, car le maire et le curé ont le droit de refuser le mariage aux gens trop pauvres pour élever des enfans, dont la charge retomberait alors sur la commune. — Nécessité peut-être en cette organisation sociale primitive, et sous ce rude climat, qui ne saurait nourrir des bouches trop nombreuses ; mais néfaste encouragement à l’immoralité, car il est facile de prévoir qu’on s’y passe, à l’occasion, du sacrement réservé aux privilégiés de la fortune. Voilà bien des taches pour nos yeux de civilisés : on vit pourtant sous l’empire de ces âpres coutumes ! et le spectateur sympathique d’une existence, si sévère en apparence, va même s’efforcer de nous démontrer qu’on y vit plus heureux qu’ailleurs.

Chose étrange, cette race si peu favorisée dans ses foyers, si