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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/423

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lu le oui et le non sur le même fait, le pour et le contre sur le même problème ou sur le même caractère historique. De sorte qu’on en vient presque à regretter le temps où un écrivain, vibrant de mille passions, nous soufflait ses colères et nous imposait ses préjugés. Alors, du moins, nous courions la chance d’avoir quelquefois une idée juste et claire de quelqu’un ou de quelque chose. Mais prenons notre temps comme il est et le « progrès » comme il s’offre à nous !

M. Gardiner, l’éminent professeur d’Oxford, dont l’œuvre historique couvre maintenant les trois premiers quarts du XVIIe siècle anglais et va rejoindre Froude à Macaulay et à Lecky, a rendu à Cromwell sa place, sa valeur relative, parmi les hommes et les événemens du temps. M. Firth, le savant auteur de l’article sur Cromwell dans le Dictionary of National Biography, a trié et pesé les documens avec une sagacité, une patience, un esprit critique auxquels il est impossible de ne pas rendre justice. Enfin les derniers mois de la dernière année du XIXe siècle ont vu paraître l’Oliver Cromwell de M. John Morley. Ce livre, attendu depuis longtemps, a éveillé une sorte de regret. Quel dommage qu’il n’ait pas été écrit il y a vingt ans ! Nous y eussions trouvé alors plus d’unité, de vigueur, de décision et de franchise. On connaît l’homme qui a passé le tiers de sa vie dans la Chambre des communes à l’allure de sa pensée comme on connaît le forçat libéré à sa façon de traîner la jambe. Sentencieux et raisonneur, moitié dégoûté, moitié indulgent, ce livre est d’un vieillard qu’appesantit un peu l’immense bagage de ses souvenirs et de ses lectures, de ses expériences et de ses réflexions. Plus jeune, l’auteur eût sacrifié la moitié de ce bagage pour rendre sa marche plus rapide et plus sûre. Il a longuement et intimement pratiqué, lorsqu’il était le lieutenant de Gladstone, les hommes qui sont la vivante tradition et comme la postérité morale de Cromwell. Il a collaboré avec eux ; il a souffert de leurs infirmités et il n’a pu s’empêcher de rendre justice à leurs vertus. Il les ménage et les respecte tout en leur faisant la leçon et Cromwell a bénéficié de cet état d’esprit chez son historien. Il y a tant de considérans et d’attendus dans le jugement de M. Morley qu’on n’arrive jamais à la sentence et qu’on ne sait, en définitive, si l’homme demeure condamné ou absous. Chaque page nous répète qu’Olivier était sincère, et chaque page démontre qu’il mentait. Chaque page nous assure qu’il avait du