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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/626

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à écrire au souverain en faveur de cette grande misère : la réponse se fit longtemps attendre, et, quand elle vint enfin, elle fut négative. — Un si notoire insuccès enleva d’un coup sa réputation d’influence à Rosegger, mais le rapprocha d’autant de ses compagnons d’enfance : « Depuis cette heure, dit-il, ils m’ont aimé de nouveau sans arrière-pensée : ils avaient reconnu que je suis encore en deçà du fossé qui sépare le paysan du seigneur. » Telles furent, en son pays, les expériences intéressantes d’un homme, qui, s’il n’y passe pas pour prophète, y jouit du moins aujourd’hui de l’estime et de l’affection générales.

C’est à Krieglach qu’il fit, en 1879, la connaissance de Mlle Anna Knaur, fille d’un riche entrepreneur viennois qui lui parut digne d’occuper à son foyer la place de sa première Anna, et d’élever ses deux enfans orphelins. Par un mariage qui lui apportait cette fois de sérieux avantages matériels, il s’élevait encore vers une classe sociale supérieure, tout en s’assurant un complet bonheur. Il a donc su diriger pour le mieux sa barque au gréement rustique sur les flots perfides de la société moderne : et, traversées seulement par quelques défaillances d’une santé toujours délicate et impressionnable, ces vingt dernières années ont augmenté sans cesse son renom, son autorité, et sa considération. Les distinctions de tout ordre se sont accumulées sur sa tête : rues baptisées de son nom dans des villes lointaines, diplômes de citoyen honoraire, traduction de ses œuvres en langues étrangères. Dès 1885, un sculpteur de talent s’est inspiré, pour une statue destinée à l’ornement du parc municipal de Gratz, d’un personnage féminin de son premier roman, Waldlilie, l’héroïne du Maître d’école dans la forêt. Et, de la sorte, l’écrivain fêté a vu s’élever, dès sa jeunesse, comme une ébauche de son futur monument. Cette gloire précoce nous amène à examiner de plus près une œuvre qui procure à son auteur de si exceptionnels témoignages de sympathie et d’admiration et qui conduit l’opinion lettrée à incarner pour ainsi dire en sa personne la race et la pensée styrienne.


VI

Lorsqu’on entame la lecture de cette bibliothèque déjà considérable que forment les ouvrages de Rosegger, on est tenté de