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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/826

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dans l’air. Sant doute, ils l’essayaient avant la Renaissance. Mai » alors l’artiste ne les suspendait pas ; il les montrait reposant sur un nuage comme ils eussent pu le faire sur un pavement ou glissant sur la nue, comme un patineur sur la glace, dans cette pose des Skating angels que le Pérugin a immortalisée. Mais ils sont toujours vus dans le même plan que les personnages inférieurs. Le spectateur est censé se trouver à leur niveau, si bien que dans la Nativité de Botticelli, à la National Gallery, par exemple, il n’y a aucune différence entre les anges qui dansent une ronde en plein azur au-dessus des têtes des arbres et ceux qui, bien au-dessous du groupe Divin, accueillent et embrassent les âmes des Bienheureux. Si l’on coupait le tableau à la hauteur des têtes de pins et si l’on remplaçait le bleu du ciel par le vert d’un gazon, personne ne s’imaginerait que ces figures ont été construites pour planer au-dessus de la ligne d’horizon. — Que l’on fasse la même expérience, au contraire, avec les anges de Rubens, du Corrège ou de Véronèse, et l’on verra que les seules ellipses de leurs raccourcis indiquent la place qu’ils tiennent bien au-dessus de nos têtes. On ne voit plus que des pieds. Chez le Corrège, anges acrobates qui joignent les mains en artistes et, du haut du portique où ils évoluent, envoient des baisers au public. Ou bien, encore, anges déployeurs de banderoles, chez Rubens, avec des gestes pour auner des lés d’étoffe ou faire admirer la finesse et la solidité du tissu, dans la fougue d’un grand battement d’ailes et le mouvement d’un nuage, secondés par de petits amours auxquels on a dit qu’il vient de naître un petit frère et qui s’abattent vers lui, curieux de jouer avec le Nouveau-né.

Si différens que soient, ces anges de ceux que nous vîmes vêtus de chapes et joignant les mains dans les triptyques d’Hugues de Gand, le même sentiment du surnaturel les a créés. Ce sont des anges bien en chair, robustes, anges exterminateurs au besoin, anges lutteurs, anges boxeurs. Ils ont une forte objectivité. On les touche ; ils obstruent le passage, bien installés dans la toile. Ils ne projettent pas d’ombre, mais à ce détail on ne fait aucune attention. Ils chantent. Ils pincent du luth en s’appliquant fort, de peur de faire une fausse note, ce qui serait déplorable dans une aussi belle occasion. Volontiers, on leur offrirait de ces volailles ou de ces olives picholines que, dans un Noël provençal, Tounin recommande à Espérite d’emporter. Ils