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l’érudition stérile, trouveront plaisir et santé dans le travail corporel, et se créeront enfin des lois sous l’égide desquelles une honnête et stable population campagnarde pourra subsister[1]. » Tel est l’idéal tolstoïsant de renaissance agraire qui reparaît souvent dans les prédications de Rosegger, pour s’épanouir enfin dans le dernier roman livré par lui à la publicité : Erdsegen, la Bénédiction de la Terre.

A n’en considérer que la surface, ce livre n’est guère qu’une réédition, sous une autre forme, d’un des premiers écrits de l’auteur, la Vie populaire en Styrie. Un jeune journaliste, qui traite dans une feuille provinciale les questions économiques et agricoles, sans en connaître le premier mot, se laisse entraîner par le vin à un pari hasardeux : celui de servir un an, comme valet de ferme, dans la montagne, afin de démontrer à ses collègues sa compétence trop souvent par eux mise en doute. Il tient en effet son engagement, et, chaque dimanche, adresse à un ami citadin le résultat de ses observations, de ses réflexions de la semaine. Par là se déroule une fois de plus sous les yeux du lecteur l’année paysanne, avec ses coutumes, ses superstitions, ses fêtes religieuses, la succession de ses incessans travaux et de ses rares plaisirs. On salue au passage de vieilles connaissances : le braconnier blessé, le déserteur repris par les gendarmes, l’honnête fille séduite, tous thèmes jadis traités presque dans la même ordonnance par l’auteur. Mais ce qui est nouveau dans ce volume, c’est l’esprit dont il est animé ; au lieu du détachement un peu narquois, du scepticisme mêlé de tendresse qui inspirait les jugemens de l’écrivain débutant, fraîchement émancipé par ses études récentes, et qui s’exprimait sur ce ton gouailleur dont frémissaient les bons curés de campagne, voici que nous percevons un hymne de sympathie, de regrets, d’admiration sans réserve pour ce monde du passé qui s’efface, et qu’il faut à tout prix conserver. Il importe que les plus malsains profits de la culture artificielle du temps présent viennent, à l’exemple de Hans Trautendorffer, le héros de cette aventure, se régénérer au contact de la source vive, dont les derniers bouillons achèvent de murmurer près des sommets neigeux. Ou plutôt, suivant l’expression brutale du journaliste, séduit par la vie des champs, qu’ils viennent donc « se désinfecter avec du

  1. Jacob der Letzte. Préface.