Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/859

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fumier de vache, » les contaminés de la civilisation, qu’ils viennent prendre des leçons de politique à l’étable ! « On élit un socialiste dans la ville voisine. — Mouh ! en dit mon voisin de lit le bœuf, et je suis en somme de cet avis. » Qu’ils reconnaissent, avec leur guide en cet Eden menacé, que le paysan est l’homme le plus civilisé du temps présent, der groesste Kidturmensch ; que sa vie n’est pas une banale idylle de Gessner, mais une odyssée aux aventures héroïques et diverses ; qu’une ferme bien tenue est le berceau de toute production comme de toute industrie ; enfin qu’un véritable paysan est « l’homme complet. »

Sans doute il est permis de ne pas prendre tout à fait au sérieux la rusticité de Rosegger. Il ne pousse pas aussi loin que le comte Tolstoï la conséquence avec ses principes ; on ne le voit point travailler de ses mains : et il reconnaît lui-même qu’après quelques mois de campagne la ville le rappelle par une invincible attraction, cependant que son fils aîné fait ses études de médecine. Mais il n’est pas moins évident qu’un sentiment sincère l’anime dans ses conseils et dans sa prédication.

Or, en annonçant la bonne nouvelle de l’humanité agricole, il s’est senti pénétré de nouveau par l’idéal religieux de son enfance. Sans doute le journaliste d’Erdsegen ne se fait pas faute d’interpréter encore dans un sens humain les cérémonies et les usages de l’Église : mais il est peu à peu séduit par les spectacles de foi humble et sincère qui passent devant ses yeux étonnés. « La religiosité, dit-il, n’est pas un point de vue dépassé ; elle est dans la nature de l’homme, aussi bien que l’amour et la haine… Je crois que, si le paysan était athée, rien ne » pourrait croître sur sa terre. » Ou encore : « Si, dans mon enfance, je n’avais sucé moi-même ce lait maternel de la foi, je ne pourrais comprendre, admirer, honorer ces cérémonies de la Semaine sainte au moins comme le dernier sourire d’un monde qui disparaît. Ne va pas rire de moi, philosophe : mais, parfois, vu d’ici, cela m’apparait plutôt comme une résurrection d’entre les morts. »

Ainsi l’on voit grandir chaque jour dans l’âme de Rosegger la préoccupation du rôle moral et social de la religion : préoccupation qui ne l’a jamais abandonné tout à fait, il faut le dire. Déjà, dans Haidepeter’s Gabriel, tandis qu’il montrait la douce Régina priant pour son frère envolé vers les cités perverses, l’auteur ajoutait : « Rien sur la terre n’est capable de