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c’était déchaîner la guerre. En fait, des rancunes et des luttes sans nombre entretenaient, de part et d’autre, dans le détail de la vie journalière et locale, des sentimens hostiles. L’Allemagne souffrait d’un désaccord universel. Les doctrines, les intérêts généraux et les intérêts particuliers, tout se heurtait, et, pour comble, leur discorde provoquait, au dedans et au dehors, un effroyable choc de passions rivales. Les catholiques appelaient à l’aide la papauté et l’Espagne ; les protestans, l’Angleterre et les puissances du Nord.

Face à face, sur un large front de bandière qui prenait en écharpe toute l’Europe, les deux camps se mesuraient du regard et surveillaient l’agonie de l’empereur Mathias avec la perspective et l’appréhension, dès qu’il serait mort, d’une mêlée générale. Lui, goutteux, et tellement affaibli qu’il fallait le nourrir comme un enfant, accablé par la mort de sa femme, se promenait parmi les œuvres d’art de ses collections, regardant ses mains pâles, et toujours en larmes, comme s’il pleurait d’avance les misères effroyables que sa mort allait déchaîner sur ses peuples et sur l’Europe. Il mourut, le 20 mars 1619.

Avant de mourir, il avait connu les douleurs dont il avait accablé, lui-même, les dernières années de son frère Rodolphe. Il avait vu sa succession dépecée en quelque sorte de son vivant, et il avait dû, par respect pour les intérêts de la famille des Habsbourg, assurer, autant que possible, la succession de ses trois couronnes, Bohême, Hongrie et Autriche, à un cousin qu’il détestait, Ferdinand de Styrie. Mais sa mort ouvrait une question plus haute. L’Empire était électif ; il s’agissait de savoir si la couronne impériale serait maintenue dans la famille des Habsbourg, alors même qu’il n’y avait plus de descendance directe. Le protestantisme, maître de l’Allemagne du Nord, sentait bien que l’occasion était unique pour briser l’unité du parti catholique dans l’Empire et arracher celui-ci à l’influence des provinces du Sud. Il eut voulu imprimer, dès lors, à l’Allemagne le mouvement de bascule que la main d’un grand homme d’Etat devait déterminer deux cent cinquante ans plus tard.


L’homme que les circonstances désignèrent pour tenter l’entreprise était Frédéric V, comte palatin du Rhin. Ce jeune prince, né en 1596, avait succédé, en 1610, à son père Frédéric IV, petit-fils lui-même de Frédéric le Pieux, qui avait embrassé la religion