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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/180

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III

J’aurais quelques reproches encore à faire à M. Ouvré pour m’avoir gâté mon plaisir, et par exemple je souffre impatiemment un certain goût qu’il a pour l’énigmatique et pour le piquant d’un demi-mystère laissé sur les choses. De même qu’il ne nomme jamais les savans, historiens et critiques qu’il discute, de même il ne nomme pas davantage les personnages considérables qu’il rencontra en chemin, ni ne désigne pas leur nom les événemens importans auxquels il songe. « Si de nos jours un grand moraliste de la foule jette l’anathème à ce divertissement trompeur, » c’est-à-dire à l’art littéraire, je doute peu que ce grand moraliste ne soit Tolstoï, mais j’ai le droit de n’en être pas sûr, et encore plus j’aurais le droit qu’on me le nommât tout bonnement ; et j’aime mieux qu’on m’épargne le soin de chercher, que non pus qu’on me donne la satisfaction d’avoir trouvé. « Socrate eut l’autorité spéciale des chefs religieux. Il rappelle les prophètes et aussi Jésus et tel fondateur de secte célèbre dans l’Orient moderne. » Ici, j’avoue en rougissant que je ne connais pas ce fondateur de secte célèbre et j’en veux à un auteur qui me force à rougir devant moi-même et devant les autres.

Mais le plus grand regret qu’on éprouve en finissant la lecture du livre de M. Ouvré, après celui d’être obligé de le quitter, consiste en ce que l’on remarque alors que les théories de l’auteur dépassent, même chronologiquement, son livre et ont pour effet principal de le faire paraître écourté.

Ce sont les formes littéraires de la pensée grecque que M. Ouvré a voulu étudier ; c’est l’évolution des genres littéraires à travers la littérature grecque ; et il s’arrête à Chéronée, comme Ottfried Muller, sans avoir, Dieu merci, la même excuse que celui-ci. Est-ce que la pensée grecque s’est arrêtée après Chéronée, ou avait revêtu avant Chéronée toutes les formes qu’elle pouvait revêtir ? Est-ce que l’évolution des genres littéraires en Grèce s’arrête à la bataille de Chéronée ? La littérature grecque, et même attique, est-elle épuisée à l’avènement d’Alexandre ? Le livre, aussitôt qu’on fait cette réflexion, paraît trop grand ou trop petit. Est-ce au développement de la littérature attique qu’on devait uniquement s’intéresser ? Alors, à la rigueur, on peut terminer son livre à la date de 338. Mais, en ce cas, il ne fallait