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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/183

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furent des littératures de colonies. Mais, en vérité, qu’importe, puisque ces littératures sont vivantes, ont un public, et singulièrement éveillé, et se développent selon les lois ordinaires des littératures constituées et organisées ?

Qu’importe, ou plutôt il importe beaucoup, et c’est la question. C’est la question la plus intéressante de toute la littérature grecque. Un peuple meurt, sa littérature meurt, c’est ce qui se passe ordinairement. Le peuple grec meurt comme peuple et sa littérature ne meurt pas : c’est ce qui s’est passé une fois, et c’est ce qui attire l’attention, et c’est ce qu’il faut expliquer, au moins pour ceci que, quand on explique, du moins cela prouve quelquefois qu’on a étudié, ce qui est l’essentiel. Le peuple grec meurt, sa littérature subsiste, et elle n’est pas strictement une littérature d’imitation. Elle continue son évolution très normale et ajoute à son état civil des personnalités remarquables, des personnalités de moyen ordre et des personnalités insignifiantes comme toutes les littératures. Elle garde la vie, « c’est-à-dire l’aptitude à varier » et l’aptitude à s’assimiler, pour varier, des élémens étrangers à sa nature primitive.

Qu’est-ce à dire ? C’est peut-être à dire que le Grec était faible comme peuple et qu’il était d’une vigueur extraordinaire comme race. Cela peut se voir et je crois que cela s’est vu chez des peuples aussi différens que possible du peuple grec. Le Grec était faible comme peuple. Il n’avait pas ou il avait peu l’aptitude organisatrice, la vertu administrative, l’instinct de la discipline. Il n’avait pas, comme peuple, « l’aptitude à varier » et à plier aux circonstances une complexion à la fois solide et souple. Spartiate, il se raidissait et se figeait dans une constitution archaïque et surannée ; Athénien, il restait obstinément dans une liberté démocratique désordonnée, et s’acharnait dans la mobilité ; et Sparte et Athènes ne se doutaient pas que ces deux démarches, si différentes en apparence, étaient au fond absolument la même chose.

Ils périrent comme peuple après la plus prodigieuse expansion foudroyante que le monde ait vue, et qui était bien conforme à leur caractère, comme la conquête patiente et continue dans celui des Romains. Ils périrent comme peuple ; mais la race était si forte qu’ils ne s’en aperçurent pas beaucoup. Ils continuèrent, pendant cinq siècles, à faire des poèmes, des histoires, des romans, des philosophies, des monumens, des peintures et