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V. — JARDIN CAPELLO


Jardins italiens, taciturnes et roses,
Où le pampre suspend ses grappes sur les roses,
J’aime votre décor et votre vétusté ;
Le citron y verdit les pots de terre cuite,
Et le dessous moussu des berceaux m’a conduite
Au temple humide où meurt la vieille volupté.

L’orange ronde et d’or a chauffé son écorce
Auprès des grenadiers dont les fruits avec force
Se fendent, mûrs, sur les grains au relief vermeil ;
L’arbre entier refleurit d’une pourpre incarnate,
Et, sous le noir feuillage, à chaque branche éclate
Une fleur déchirée, et saignante au soleil.

Sur le fard écaillé de la façade jaune,
Malgré la croix latine, un bras tortu de faune
Ou de satyre griffe encore le vieux mur ;
Car la vigne écarlate écarte sa main rouge,
Sur la pierre rugueuse où le rameau qui bouge
Ecorche un doigt feuillu, dont saigne l’être obscur.

Une odeur de muscats, de roses et de songe
Monte dans l’air malsain où longtemps se prolonge
Le son des cloches, tintant dans le ciel désert ;
Leurs voix semblent se refléter dans la lagune
Pour encor palpiter, puis mourir, une à une,
Reprises par l’écho du crépuscule vert.

Serrant entre ses dents son loup de velours sombre,
Mon Rêve va passer, dans la fièvre et dans l’ombre,
Vêtu du satin blanc que peignit Tiepolo,
Sa main jette un gant noir au vide de la vasque,
L’éventail baise et bat la bouche au bas du masque,
… Et je sais que ses yeux ont la couleur de l’eau.