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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/411

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Lointain, soupire, meurt, puis reprend et s’achève,
Long sanglot dont se plaint la volupté trop brève.

Sombre soir ! où palpite encor plus que le jour
Le cœur double et souffrant d’un invincible amour !

L’air de la nuit est lourd des vieilles destinées…
… Les ombres sur le sol semblent assassinées.


III. — LES CYI’RKS DU JARDIN GIUSTI


Etes-vous effilés par la Parque aux doigts d’ombre,
Cyprès funèbres ? Vous, mystérieux fuseaux,
Qui d’un jeune destin amoureusement sombre
Enrouliez à vos flancs les fils, en fleurs sans nombre,
Des rosiers qu’ont coupés d’invisibles ciseaux.

Les roses ne parfument plus vos longues pointes
Que fixait dans les cœurs un inflexible sort ;
Mais votre arôme amer, irrésistible et fort,
Est toujours celui-là qui sur les lèvres jointes
Mêlait au pâle amour l’âpre goût de la mort.

Vous fûtes du poignard la lame aiguë et noire,
Votre ombre a pris parfois la forme de l’amant ;
Et c’est vous qu’Elle vit, alors qu’Elle dut boire
Votre philtre, en la coupe où sombra sa mémoire !
Gardez-vous cette tombe assez fidèlement ?

Leur illustre tristesse est leur seule couronne.
Et c’est en vain qu’on montre au passant incertain
L’auge qui fut jadis quelque cercueil latin,
Puisqu’ils dorment ici, tes Amans, ô Vérone !
Sous ton plus haut cyprès, funéraire et lointain.