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anglaise n’approcherait jamais. L’Allemagne tout entière a pris cela pour une offense intolérable, et la Gazette de l’Allemagne du Nord a écrit à ce sujet une phrase que nous retrouvons mot à mot dans le discours de M. de Bulow, à savoir que l’armée allemande était beaucoup trop haut placée pour être atteinte par de pareils traits. Mais le chancelier y a joint un souvenir historique, en rappelant que, dans une circonstance analogue, Frédéric II avait dit : « Laissez faire cet individu et ne vous irritez pas ; il mord sur du granit. » La presse anglaise est à son tour très émue de ce coup de boutoir, et en vérité, M. Chamberlain, M. de Bulow, les journaux anglais, les journaux allemands, ressemblent à ces héros de l’antiquité qui, avant d’en venir aux mains, déversaient les uns sur les autres des torrens d’injures. On accuse, en Angleterre, M. de Bulow « d’essuyer ses pieds sur l’uniforme du roi Edouard, » et, en Allemagne, on se plaint que M. de Bulow n’ait pas encore été assez énergique. Un autre orateur M. Liebermann de Sonnenberg, l’a été davantage. Il a dit que M. Chamberlain était « le plus odieux polisson que la terre eût porté, » et que « l’armée anglaise se composait, en majeure partie, de bandes de brigands et d’un ramassis de voleurs. » M. de Bulow a trouvé que ce qu’il avait dit lui-même suffisait, sans qu’il y eût lieu de surenchérir, et il a prononcé quelques bonnes paroles sur les ménagemens à observer entre nations amies. Mais la presse anglaise les trouve insuffisantes, et continue de rugir.

En présence de ce spectacle, nous nous demandons si M. de Bulow a raison de croire que l’entrée de toutes les grandes puissances dans la politique coloniale est une garantie de la paix européenne. On voit se dessiner dans l’avenir le conflit de l’Angleterre et de l’Allemagne, déjà rivales à travers les mers. De là ces colères si promptes à s’émouvoir. De là ces injures, ces mots amers et violens, qui laisseront des traces. En vérité, le monde mue : et peut-être M., de Bulow ne l’a-t-il pas encore dit assez.


FRANCIS CHARMES.


Le Directeur-Gérant,

F. BRUNETIERE.