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Midi et la conjuration républicaine qui menace les rois ? Se rend-il compte du rôle de la France entre les deux partis ? Elle peut arracher le sceptre à la Maison d’Espagne ; mais, c’est le donner à l’Angleterre ; elle peut consolider, dans le monde, la tradition romaine et latine ; mais c’est sa vieille rivale catholique, la Maison d’Espagne, qui recueille les bénéfices.

Se glisser entre les causes et les deux forces rivales, les laisser s’user l’une par l’autre, s’établir sur leur ruine, introduire dans le monde le règne de la modération et de la tolérance, et dans la politique internationale, au lieu des violences sectaires, la loi d’un équilibre bienveillant : cela, elle le peut. L’heure est favorable. Elle peut avoir sa politique à elle, choisir sa destinée, devenir l’ouvrière de sa propre grandeur. C’est une de ces heures où sa carrière se décide. Parmi les peuples rivaux et parmi les principes contradictoires et excessifs elle deviendrait l’arbitre de l’humanité, la conseillère et l’inspiratrice de la mesure, elle se manifesterait France.

Mais ces vues sont trop hautes et trop longues pour le regard d’un Luynes. Il hésite. Il consulte. Son attention est fixée sur les affaires du dedans. Le sort de l’Europe se ramène pour lui à sa situation entre les partis et à sa faveur auprès du Roi. Il écoute tout le monde et subit toutes les influences. Surtout, il regarde dans les yeux de ce jeune homme morose qui est le Roi ; il essaye de deviner cette pensée hésitante, cherche à démêler un caprice là où il eût dû donner une direction.

Nous avons le récit d’un de ses confidens. Nous voyons à nu son âme : « Tous les anciens conseillers lui disoient que la guerre contre les protestans étoit non seulement sa ruine assurée, mais celle de l’État, alléguant l’expérience des autres guerres civiles sous les trois derniers rois… Pour son particulier, ses créatures lui disoient que, dans la guerre, il n’auroit plus ni autorité, ni argent… et qu’il perdroit assurément la faveur du Roi… Il demeuroit tout interdit et ne savoit à quoi se résoudre… enfin, il se découvrit à un gentilhomme de ses amis ; il lui dit que Sa Majesté vouloit absolument aller à l’armée… » Cette raison parut décisive ! Luynes comprenait que le jeune roi, aveuglé par la facile victoire des Ponts-de-Cé, lui échappait, s’il s’opposait à la guerre, et que les partisans de la guerre contre les huguenots, les catholiques, le prince de Condé, le ruineraient dans la faveur royale, s’il hésitait à suivre les