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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/599

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Alors s’établit le dialogue suivant :

LE PERE DIDON. — Mon Père, me voici pour recevoir vos ordres.

LE GENERAL. — C’est grave et triste. Vous n’êtes pas sans savoir la fâcheuse impression produite par vos conférences ; vous avez pris une mauvaise voie, vous n’êtes pas un apôtre, vous êtes un tribun ; vous ne convertissez pas les incroyans, vous les consolidez dans leur incrédulité ; vous n’avez pas l’esprit de l’Évangile, vous avez compromis l’Ordre en disant qu’il était dans vos idées,

Le P. Didon ne dit pas un mot.

Le Supérieur général ajouta : « Vous vous retirerez en Corse, à Corbara, dans un couvent solitaire. Vous n’y prêcherez pas, vous prierez et vous étudierez jusqu’à nouvel ordre. Vous partirez le plus tôt possible. »

Corbara était un couvent de dominicains, juché sur une montagne de Corse. C’était une école de novices.

Qu’allait faire le P. Didon ?

Si grandes qu’eussent été sa bonté, la noblesse de ses idées, sa sérénité, il avait des ennemis. Ils se réjouirent.

Allait-il se révolter ? Allait-il renoncer à la gloire qui l’attendait à Paris ? Allait-il laisser éteindre cette voix si éloquente, et s’ensevelir dans un cloître ?

Ses ennemis furent déçus dans leurs secrètes espérances. Ils croyaient que le P. Didon s’insurgerait. Mais ce n’était pas en vain qu’il avait pris pour sujet de ses discours l’humilité chrétienne, que maintes fois il avait parlé contre certains abus, qu’il avait cherché à dégager l’Église de ce qui en altérait la grandeur et la pureté. On vit que le P. Didon n’était pas seulement un grand écrivain, un grand orateur. On vit que c’était une grande âme et un vrai prêtre chrétien.

Le P. Didon obéit.

Il partit pour Corbara.

Le silence se fit autour de lui. C’était un tombeau anticipé.

Le 1er mai, il m’écrivait de Corbara :


Corbara, 1er mai 1880.

Mon cher ami,

Le coup inattendu qui m’a frappé ne m’a point abattu. Les convictions supérieures qui gouvernent ma vie m’ont donné le courage dont j’avais besoin en cette heure difficile. Grâce à Dieu, je n’ai pas faibli un instant devant mon devoir, et j’ai marché droit, là, où ma conscience me disait d’aller.

Il est bon, cher ami, de souffrir pour la justice et pour ses