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EN PASSANT À MASCATE

… Nous avions quitté depuis trois jours le Beloutchistan sinistre, aux solitudes miroitantes de sable et de sel sous un soleil qui donne la mort ; la ligne de ses affreux déserts nous avait longtemps poursuivis, monotone dentelure violette qui n’achevait pas de se dérouler aux confins de notre horizon. Et puis, nous n’avions plus vu que la mer, — mais une mer incolore, chaude et molle, sur laquelle traînaient des buées irrespirables, d’épaisses vapeurs de fièvre.

Comme c’était en avril, le soleil tirait de cette mer d’Arabie les immenses brumes fécondantes, tout le trésor des nuées que les vents allaient emporter vers l’Inde, pour le grand arrosage des printemps. Elles s’en iraient au loin vers l’Est, les ondées qui naissaient ici, à la surface des eaux languides ; pas une ne rafraîchirait les rivages desséchés, d’alentour, — qui sont une région spéciale, rebelle à la vie des plantes, rappelant les désolations lunaires. Nous nous acheminions vers le golfe Persique, le golfe le plus étouffant de notre monde terrestre, nappe surchauffée depuis le commencement des temps, entre des rives mortes de chaleur où tombe à peine quelque rare pluie d’orage, où ne verdissent point de prairies, où, dans l’éternelle sécheresse, resplendit presque seul le règne minéral. Et cependant on se sentait oppressé d’humidité lourde ; tout ce qu’on touchait semblait humide et chaud ; on respirait de la vapeur, comme au-dessus d’une vasque d’eau bouillante. Et le malfaisant soleil, qui nous maintenait nuit et jour à une température de chaudière, se levait ou se couchait sans rayons, tout jaune et tout terni, tout embué d’eau comme dans les brumes du Nord.