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livrer les vieux peuples de l’Asie. Dès la fin du XVIIe siècle, l’ère des grandes conquêtes morales a été close et l’œuvre des conversions individuelles a commencé. En Asie, des petits troupeaux perdus au milieu d’agglomérations immenses soutiennent honorablement le nom chrétien, sans modifier le cours général des événemens. Il n’en est pas de même en Afrique, ni sur les autres points du globe où les hommes vivent à l’état sauvage. Là, le concours des missions est indispensable. C’est par l’idée religieuse seulement que la civilisation peut pénétrer jusqu’à l’âme du primitif. Sans elle, il n’y a plus que l’exploitation brutale de l’homme par l’homme. Tout le terrain que perd le christianisme est immédiatement gagné par d’autres croyances et surtout par l’Islam. Il semble donc que toutes les confessions chrétiennes devraient se liguer contre l’ennemi commun, à savoir contre la barbarie. En réduisant le christianisme à ses principes essentiels, elles le rendraient plus accessible à des populations dont le niveau intellectuel ne dépasse pas beaucoup l’âge des cavernes. Malheureusement, les Eglises se combattent, et le dogme alourdi par quinze ou vingt siècles de théologie n’avance que péniblement à travers les ténèbres de l’Afrique.

A considérer le nombre, le zèle et la qualité des missionnaires, il y a longtemps que le monde habité devrait être chrétien. Il le serait peut-être en effet, si les disciples s’étaient toujours souvenus de la parole du Maître. N’est-ce pas le Christ qui, pour rendre sa doctrine plus simple, plus aisément transportable, la résumée dans un seul précepte : « Aimez votre prochain comme vous-même ? » Et n’a-t-il pas ajouté : « Toute la loi et tous les prophètes sont là ? »


VII

La plus grande révolution des temps modernes, c’est que le souci des humbles a cessé d’être le privilège exclusif des religieux : il a passé dans les institutions et dans les mœurs. Cette révolution, qui a bouleversé nos vieilles sociétés, devait modifier plus lentement nos relations avec le reste de la terre.

Au siècle dernier, tel planteur, ardent catholique, faisait fouetter ses nègres sans pitié. Mais ce que la religion n’avait pu accomplir dans le fort de sa puissance, elle le fit avec le concours imprévu de la philosophie. C’est un chrétien, Wilberforce, qui