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UNE VIE D’AMOUR

AIMÉE DE COIGNY ET SES MÉMOIRES INÉDITS

PREMIÈRE PARTIE


I

Il y a un fond de mépris dans la gloire que les hommes réservent aux femmes. Ils ne célèbrent guère d’elles que la beauté. Les dons de l’esprit et de l’âme ajoutent, ornemens accessoires, à la parure des privilégiées qui possèdent l’essentiel, la perfection du corps. Faute de beauté, tout obscures et comme éteintes, quels talens ou quelles vertus ne leur faut-il pas pour sortir de l’ombre ? Si cette beauté est éclatante, quoi qu’elles en aient fait, elle les absout et leur séduction leur survit. Le moins méritoire des avantages est celui dont on leur sait le plus de gré, et le plus court des triomphes perpétue leur nom.

Aux grandes amoureuses surtout va cette popularité posthume. On dirait que, pour s’être données à quelques hommes, elles aient droit à la reconnaissance de tous. La curiosité du public reste fidèle aux plus inconstantes, il veut posséder les certitudes de leurs caprices, et des écrivains graves mettent les scellés de l’histoire sur des ailes de papillons. À cette sollicitude se révèle « l’éternel masculin, » l’attrait permanent de la chair de l’homme pour la chair de la femme. C’est lui qui reconnaît dans les plus femmes des femmes « l’éternel féminin, » le chef-d’œuvre de joie offert à l’homme par la nature. Et l’homme pense à lui-même, quand il s’occupe d’elles. La célébrité durable qu’il accorde aux dispensatrices les plus généreuses de cette joie est un encouragement aux vivantes de ne pas se montrer plus avares. Dans ces amours passées, le présent à son tour lit ses