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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/656

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Lauzun. En janvier 1793, elle revient à Paris, Malmesbury l’accompagne, il est arrêté. La duchesse lui a parlé souvent de Biron comme d’un ami, Malmesbury n’a rien de plus pressé que d’écrire au général pour en réclamer la protection. Relâché avant même que sa demande fût parvenue à Biron, il raconte à Aimée la démarche toute simple pour lui, et si compromettante pour elle. Elle devait à Lauzun une explication, elle lui écrivit :


Ne faut-il pas, quand on m’aime, qu’on ne connaisse plus sur la terre d’autres ressources qu’en moi et par conséquent en vous, et que la première menace du danger, qui me fait vous invoquer, apprenne votre nom à celui qui a besoin d’une grande confiance pour n’être pas jaloux ? Je sais que vous avez dû recevoir un courrier très pressé et bien effrayé de quelqu’un actuellement près de moi, que je vous ai toujours laissé deviner sans positivement vous en parler. Il a été arrêté par un quiproquo inconcevable et, comme les motifs n’étaient pas énoncés, quoique aucuns ne fussent probables, leur mystère l’effrayait. Il est sorti comme entré, c’est-à-dire sans raison expliquée, mais enfin il est sorti et c’est tout ce que j’en veux. Je lui sais pré de son impertinente fatuité d’avoir recours à vous, dans un moment de détresse, avec la persuasion de vous intéresser par votre commun sentiment. S’il s’est un peu targué du mien, ne vous en choquez pas plus que moi, mon ami, et ne vous fâchez pas si je suis fière qu’il veuille bien s’en vanter. C’est à l’espoir de vous revoir ici que j’attache l’idée d’un avenir heureux. Il m’est doux, mon ami, de rentrer souvent dans mon cœur. Vous y êtes toujours le plus constamment cher objet.


L’humiliante lettre, avec son style contourné comme pour envelopper d’ombre et reconnaître sans les dire les faits indéniables ! Lettre moins humiliante encore par ses aveux que par ses coquetteries, par cette persévérance de la femme prise au piégea poursuivre la double intrigue. Mais, tandis qu’elle essayait de faire accepter par son premier amant le second, celui-ci prenait congé. Soit que Malmesbury comprît le ridicule où il s’était mis, en priant un rival de le réunir à la femme disputée, soit que, rendu sage par la prison, il jugeât l’heure venue de s’aimer lui-même en songeant à sa sûreté, il aspire, un siècle avant lord Salisbury, au « splendide isolement, » et regagne Londres.

Aimée semble indifférente à sa perte, et comme délivrée par son départ. Dans ce cœur qui a horreur du vide, Lauzun retrouve les droits de premier occupant. Le malheur est qu’elle lui revient quand elle a besoin de lui. La grossesse à cacher la tenue plusieurs mois hors de France, l’absence d’une grande dame à ce moment prend un air d’émigration. Aimée sent flotter