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leur petite patrie, comme le Sicilien Giovanni Meli, le Milanais Carlo Porta, le Piémontais Angelo Brofferio. Le « particularisme » ou le « fédéralisme » aidant, — avec la réaction esthétique qui se dessine contre l’esprit industriel prépondérant depuis vingt ans, — il est à prévoir que cette lutte des dialectes contre ; la langue unitaire deviendra consciente et énergique, et que les littératures provinciales, déjà renaissantes, verront encore de beaux jours.

Parmi les œuvres dialectales que les histoires littéraires ignorent trop volontiers, parce que la langue en est un peu spéciale, que la saveur n’en est pas toujours fine, et qu’elles exigent, pour être comprises, quelques études de mœurs où l’érudition et le simple usage du goût classique ne suffisent pas, l’une des plus accessibles et cependant des plus originales est assurément celle du Romain Giuseppo-Gioacchino Belli. Si intéressans que soient les vers des poètes que je viens de citer, — et surtout ceux de Carlo Porta, — ils ont souvent le tort de traduire bien plutôt les idées et les sentimens de leurs auteurs que ceux du peuple dont ils emploient la langue. Il se trouve qu’au contraire le peuple de Rome, si glorieux d’anciens souvenirs, naguère encore si pittoresque, si exceptionnel toujours, a eu la bonne fortune d’être représenté tout entier, dans ses mœurs aussi bien que dans sa langue, par un poète imbu de son esprit, observateur scrupuleux de ses habitudes et de ses attitudes. Par un hasard heureux, et qui nous flatte, c’est Sainte-Beuve qui inscrivit le premier au livre de la critique européenne le nom de ce poète dialectal : « M. Gogol, — écrivait Sainte-Beuve en 1845, dans un article sur le romancier russe, — me dit avoir trouvé à Rome un véritable poète populaire appelé Belli, qui écrit des sonnets dans le langage trastévérin, mais des sonnets faisant suite et formant poème. Il m’en parla à fond et de manière à me convaincre du talent original et supérieur de ce Belli, qui est resté si parfaitement inconnu à tous les voyageurs. » Je ne vois pas que, depuis Sainte-Beuve, on ait cherché, chez nous, à le mieux connaître. Malgré le bon livre de M. Ernest Bovet, docteur de l’Université de Zurich et privat-docent à l’Université de Rome, sur Belli et le peuple de Rome[1], l’œuvre de Belli, qui est l’une des plus considérables de la littérature italienne en ce siècle, n’a pas éveillé en France l’attention

  1. E. Rovet, le Peuple de Rome vers 1840, d’après les sonnets en dialecte trastévérin de G. G. Belli, vol. I, Rome, Lœscher. 1898.