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curiosités qui attristent. Ce qui attire son attention, ce sont les faiblesses, les ridicules, les manies, ces aspects de l’infirmité humaine qui servent à l’amusement des spectateurs. Cela sans doute n’indique pas une intelligence vraie de la vie : car il y a autrement de pensées, et autrement nobles et autrement fécondes, dans la tristesse que dans le rire. Du moins le rire, sur les lèvres de cette épicurienne, sonne-t-il franc, naturel, contagieux, et toujours nouveau, à l’aspect des apparences innombrables que prend notre petitesse.

Quelle œuvre pouvait être accomplie par un pareil ouvrier ! Dès le début de son travail, Aimée de Coigny avait étendu le sujet à la mesure de ce qu’elle se sentait capable de faire. Au lieu de s’enfermer en cet obscur cheminement de mine creusé par quelques travailleurs dans la masse compacte de l’Empire, elle avait embrassé d’abord du regard tout le régime. Et comme, dans ce régime, il n’y avait pas seulement le génie et les erreurs d’un homme, mais aussi la puissance des choses, le terme logique où toutes les pierres roulantes du passé et du présent avaient terminé leur chute et repris leur stabilité, l’importance était de montrer comment, dans la mort des institutions improvisées par les politiques, se perpétuerait la vie de la société. Continuer les Mémoires était parvenir à leur partie la plus intéressante : aux maladroits efforts de la première Restauration pour réconcilier les deux Frances ; aux Cent-Jours, où, tandis que Napoléon essayait de réveiller dans la patrie la vigueur révolutionnaire, les Bourbons retrouvaient en exil l’esprit émigré : à la furieuse vengeance qui commença la seconde Restauration ; enfin à la trêve royale, fil tendu entre les rancunes et les espérances des deux armées désormais irréconciliables, et sur lequel l’équilibriste impotent. Louis XVIII, se tint quelques années debout. Dire, à travers les divisions politiques, la reconstitution de la vie mondaine était surtout l’œuvre conforme aux goûts et aux talens de cette femme. Il lui restait à compléter l’ébauche tracée par elle des premières rencontres entre les représentans de l’ancien régime et de la Révolution après la Terreur, à introduire dans ce monde impérial, dont elle a si bien indiqué l’intelligence restreinte aux affaires publiques, les plaisirs saisis en hâte, la pompe officielle et monotone ; il lui restait à décrire la vie de l’esprit et des salons au commencement de la Restauration. Talleyrand est plus que jamais le centre de la société française.