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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 9.djvu/489

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Il ne fut pas plus circonspect avec notre ambassadeur. Talleyrand lui ayant dit pour le sonder : « Le Sleswig réuni au Holstein, voilà un beau morceau ; je ne pense pas que vous le laissiez au prince d’Augustenbourg. — Oh ! non, répondit-il vivement. Et, en cas de réunion, ajouta-t-il, nous exigerions des conditions qui nous rendraient les maîtres des Duchés. » En Autriche même, il laissa plus d’une fois entrevoir que l’adjonction d’un million d’habitans, si toutefois il y arrivait sans mettre l’Europe sur pied, ne serait pas à dédaigner pour un pays aussi maigre que la Prusse.

Ses confidences n’avaient pas eu de succès ; elles lui donnèrent du moins plus clairement conscience des difficultés que son ambition allait rencontrer. Il ne renonça pas, mais changea de méthode : il poussa les événemens vers son but en cessant de le montrer ; il ne partit pas en guerre à la fois contre toutes les oppositions, qui, réunies, l’eussent mis à terre ; il ne les affronta que l’une après l’autre. La Diète ne pouvait être matée et congédiée qu’avec le concours de l’Autriche : il l’obtiendrait. Le traité de Londres ne pouvait être déchiré que moyennant la complaisance de Napoléon III : il se l’assurerait. Les Duchés arrachés au Danemark, à la Diète, à l’Europe, l’Autriche les refuserait-elle à la Prusse ? il l’exécuterait à son tour, comme le Danemark, comme la Diète, comme l’Europe. Son roi résistait, mais il lui mettrait le morceau à la bouche, et il ne le lâcherait plus. Voilà le plan inouï de hardiesse qu’il conçut dans les derniers jours de 1863. Pendant trois ans, il le poursuivit au milieu des incidens les plus compliqués, sans se laisser détourner par aucun mécompte, avec une sûreté de vue imperturbable et une inépuisable fécondité de moyens. Il ressemble vraiment pendant cette période à un magicien qui fait tomber ses adversaires à ses pieds en les touchant d’une baguette toute-puissante.


II

Le 1er octobre 1864, il a exécuté triomphalement la première partie de son plan : il a éconduit et bafoué la Diète, entraîné l’Autriche à une guerre en commun contre le Danemark ; il a, dans la Conférence de Londres, amené les Anglais eux-mêmes à déchirer le traité de Londres et, au milieu de l’abstention de l’Europe, il a fait signer un traité par lequel le roi Christian