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pour Auguste Comte, ce n’est pas la sensiblerie, ni la sentimentalité, ni même la sensibilité, dans le vague de son indétermination naturelle, et en tant qu’adéquate à notre personnalité, mais c’est l’ensemble des « facultés affectives » en tant qu’elles ne sauraient s’exercer solitairement ; en tant que l’épanouissement en est conditionné par l’existence de nos semblables ; en tant qu’elles sont le lien ou plutôt le support de la société des hommes. Le sentiment, dans la terminologie d’Auguste Comte, c’est la faculté d’aimer autre chose que soi-même ; c’est la conscience instinctive, si j’ose rapprocher ces deux mots, de la solidarité qui lie l’homme à l’homme, dans l’espace comme dans le temps ; c’est l’impulsion qui nous fait hommes. Si le sentiment est supérieur à l’esprit, c’est de la supériorité du « devoir social » sur la préoccupation du « développement individuel, » de Mme de Chantal sur sa brillante petite-fille, de saint Vincent de Paul sur ce type d’intellectuel, et de névropathe, que fut René Descartes. « C’est ainsi que le principe positif, spontanément émané de la vie active, et successivement étendu à toutes les parties du domaine spéculatif, se trouve, dans sa pleine maturité, inévitablement conduit… à embrasser aussi l’ensemble de la vie affective, où il place uniquement le centre de la systématisation finale ; » et, de toutes les leçons d’Auguste Comte, je n’en sache guère de plus digne d’être retenue, ni qui soit plus féconde en heureuses conséquences, — à moins peut-être que ce ne soit sa théorie de l’Inconnaissable.

Je ne me rappelle pas qu’il l’ait lui-même assez nettement formulée nulle part. Mais elle est partout diffuse dans son Système de Politique positive ; et, si l’on veut après cela que l’honneur de l’avoir énoncée revienne à l’auteur des Premiers principes, M. Herbert Spencer, ce sera donc une excellente occasion, après en avoir vu la déformation sous la plume de Littré, de voir ce que la doctrine du maître est devenue aux mains d’un disciple de génie. Si nous avons en effet bien compris en quel sens le positivisme est une philosophie du « relatif, » cette philosophie implique nécessairement une affirmation de l’ « absolu. » « Dans l’affirmation même que toute la connaissance proprement dite est relative, est impliquée l’affirmation qu’il existe un non-relatif… De la nécessité même de penser en relations, il résulte ; que le relatif lui-même est inconcevable s’il n’est pas en relation avec un non-relatif réel… A moins d’admettre un