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avaient fait leurs preuves : d’Artagnan, Biron, Chémerault, Puyguyon, Saint-Hilaire, qui commandait l’artillerie. Aussi était-elle, pour emprunter une expression à Saint-Simon : « Belle, leste, et de la plus grande volonté,… avec un prodigieux équipage de vivres et d’artillerie[1]. » Malheureusement, cette grande volonté et ce prodigieux équipage allaient être paralysés par les incertitudes du commandement. A qui devait appartenir le dernier mot ? En principe, au Duc de Bourgogne, qui, fils de France et héritier direct du trône, ne pouvait recevoir des ordres de personne ; en fait, au duc de Vendôme, qui l’emportait par l’expérience militaire et l’autorité personnelle. Aussi Louis XIV avait-il recommandé au Duc de Bourgogne de s’en tenir à l’avis de Vendôme « lorsqu’il s’y opiniâtreroit[2], » et, au début de la campagne, il écrivait à Vendôme lui-même : « Je mande au Duc de Bourgogne que vous lui ferez voir la lettre que je vous écris, qu’il doit par ses sentimens et l’envie qu’il a de contribuer au succès de cette campagne lever par luy-même les difficultés qui pourroient luy paraître plus grandes qu’à vous et se laisser conduire, après avoir pris sur luy de defférer à vos sentimens, étant persuadé que vous ne commettrez pas sa personne ny sa gloire, qui sont devenues inséparables des intérêts de l’État[3]. »

Ainsi le Roi laissait le commandement indivis entre le Duc de Bourgogne et Vendôme, ou plutôt, après avoir mis le second sous les ordres du premier, il finissait par mettre le premier sous les ordres du second. Pour que, de cette division et de cette incertitude du commandement, il ne résultat pas des conséquences déplorables, il aurait fallu entente de tous les jours et bonne volonté réciproque. Mais nous allons voir que, au début, Vendôme, loin de s’opiniâtrer, semble au contraire s’être laissé aller à son indolence naturelle, et que, s’il donna par la suite des avis formels, la colère de ne pas les voir suivis le fit se désintéresser des conséquences, comme si ce partage du commandement, cependant accepté par lui, l’eût déchargé de toute responsabilité.

Ce n’est pas cependant qu’il fût en droit de se plaindre d’un

  1. Saint-Simon, édition Boislisle, t. XVI, p. 130.
  2. Lettre du Duc de Bourgogne à Mme de Maintenon. Cette lettre et d’autres que nous citerons avaient été publiées par l’abbé Millot à la suite du t. IV de ses Mémoires politiques et militaires, composés avec les papiers du maréchal de Noailles. M. le marquis de Vogué les a reproduites dans son volume intitulé : le Duc de Bourgogne et le duc de Beauvilliers, p. 44 et suivantes.
  3. Dépôt de la Guerre, 2080. Le Roi à Vendôme, 20 mai 1708.