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fera une œuvre d’art qui ressemblera, presque à s’y méprendre, à l’opéra tel que nous l’avons. »

Nul homme assurément n’osera jamais rien attenter de semblable sur le génie du maître. Mais le temps, maître des maîtres, aura moins de respect. Il accomplira la besogne impie et fatale, et la Tétralogie, mutilée heureusement, avec des parties à terre, d’autres debout, et pour jamais, prendra l’aspect et la beauté d’une colossale ruine.


L’interprétation et la représentation de l’œuvre exorbitante ne s’est point élevée, dans l’ensemble, au-dessus d’un niveau moyen et provincial. Mme Litvinne, il est vrai, chanta Brunnhilde avec une voix qui n’a peut-être pas d’égale aujourd’hui : voix de velours et d’or, admirable, — jusqu’à la fin des plus terribles rôles, — de force et de douceur, de brillant et de moelleux. Mais les deux premiers ténors qui parurent sous l’aspect du héros y parurent déplorables. Quelques personnes avaient, au début de la saison, souhaité un autre Siegfried que M. Jean de Reszké : elles en ont eu deux. L’orchestre, sous la direction de M. Cortot, a joué sans faute, mais sans flamme, il est invisible, comme à Bayreuth, et, comme à Bayreuth, cette invisibilité n’est peut-être pas un bien. Je crois décidément que le spectacle de la symphonie ajoute plus qu’il n’enlève, non pas à l’illusion matérielle, qu’on ne peut jamais attendre, et que même on ne doit pas chercher, mais à l’impression, purement esthétique et toujours souhaitable, de l’activité et de la vie musicale. Et puis, et surtout, l’écran de Bayreuth ou le treillage de Paris, sous prétexte de fondre les sons, trop souvent les étouffe.


Orsola fait plus de bruit, beaucoup plus, que Pelléos et Mélisande, mais ne fait pas plus de bien. Et même la musique de MM. Hillemacher ne saurait exciter la curiosité, peut-être un peu malsaine, mais vive, que provoque du moins la musique de M. Debussy.

Le livret n’est qu’un noir et violent mélodrame. Il s’agit, — au XVe siècle, dans une des Cyclades, — d’une courtisane, d’un tyran qu’elle fait assassiner, et d’un jeune chef, aimé par la femme du despote, accusé de l’assassinat, mais à la fin justifié. Sachez seulement, sans que nous vous contions cette histoire, que la musique en redouble encore et la violence et la noirceur. On s’est demandé parfois, cherchant à comprendre la collaboration musicale et fraternelle de MM. Hillemacher, si l’un ne faisait pas la mélodie et l’autre l’harmonie. Dans ce cas, le premier n’aurait pas beaucoup à faire. La vérité,