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Les champs de mil, bien que plus résistans, sont pour la plupart jaunis, condamnés sans espoir ; dans ceux qui vivent encore, il y a partout des veilleurs perchés sur des tréteaux de branchages, pour chasser les rats et les oiseaux, qui mangeraient tout : pauvre humanité, guettée par la famine, s’obstinant à défendre quelques graines contre la faim exaspérée des bêtes.

Après le froid de la nuit, le soleil impitoyablement déverse sur la terre une chaleur de fournaise ; le ciel s’étend limpide et bleu comme un grand saphir.

Le paysage, vers la fin de la journée, devient tout à fait étrange. Sur l’infini des mils brûlés, des jungles brûlées, il y a des amas de monstrueuses pierres brunes, sortes de blocs erratiques aux flancs polis, aux fantasques silhouettes, qui ont l’air d’avoir été entassés avec une continuelle recherche du bizarre et de l’instable, ceux-ci tout debout, ceux-là tout penchés et en porte-à-faux, de manière que leurs groupemens, aussi hauts parfois que des montagnes, soient toujours de la plus complète invraisemblance.

Au coucher du soleil, Hyderabad enfin apparaît, très blanche dans un poudroiement de poussière blanche, et très musulmane avec ses toits en terrasses, ses minarets légers. Les arbres d’alentour s’effeuillent, altérés et mourans ; ils apportent une impression anormale d’arrière-saison, une tristesse d’automne dans le soir torride. La rivière qui passe au pied de la ville, dans un lit aussi large que celui d’un fleuve, n’est pas loin de tarir ; ses eaux se traînent si bas qu’on les voit à peine ; et des éléphans en troupe, grisâtres comme la vase des bords, descendent lentement tout au fond, pour essayer de se baigner et de boire.

Le jour finit par un embrasement rouge de tout l’Occident, derrière la ville dont les blancheurs s’éteignent dans du bleu cendré, et alors les chauves-souris géantes s’épandent en silence sur le ciel trop beau.


I. — HYDERABAD ATTEND LE NIZAM

Cependant les gens de ce royaume n’ont pas encore la faim torturante aux entrailles, comme leurs voisins du Radjpoute, et la féerie de leur capitale bat son plein, en ces jours où l’on attend le retour du roi, — du Nizam, comme on l’appelle ici.

« Longue vie au Nizam, notre prince ! » disent de grandes