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rupture a lieu au-dessous du point d’attache, c’est-à-dire à un niveau où le sacrifice n’est d’aucun profit à l’animal, puisqu’il ne lui procure pas la liberté. Cette expérience nous apprend incidemment que la cassure ne se fait pas toujours au point utile. Elle se produit en certains points de choix ; elle a des lieux d’élection. Chez les crustacés et chez les insectes, le nombre de ces places de choix se réduit à une seule : le détachement des pattes se fait en un point déterminé, toujours le même.

Une autre épreuve, pour en revenir au lézard, montre encore le caractère automatique et non intentionnel de l’amputation caudale. Elle s’obtient, en effet, chez l’animal à qui l’on a enlevé les hémisphères cérébraux, c’est-à-dire l’organe qui préside aux manifestations de l’intelligence et de la volonté. Si l’on froisse l’extrémité de la queue d’un lézard décapité, l’organe se rompt et se détache. Il y a plus : la rupture se produit encore de la même façon si l’animal a été coupé en deux, et s’il est réduit au train postérieur. Il suffit, pour que le mécanisme de la rupture puisse fonctionner, qu’il y ait intégrité du système nerveux au niveau du point d’attache des pattes postérieures.

Ces détails suffisent à montrer qu’il s’agit ici d’un phénomène réflexe. Une excitation suffisante, produite par une cause vulnérante quelconque, par une brûlure, par un froissement, par une piqûre, par une décharge électrique, est recueillie par les nerfs sensitifs de la région caudale ; conduite à la moelle épinière, à un centre placé à la hauteur des membres postérieurs, elle se réfléchit automatiquement à ce niveau, et revient provoquer à l’action certains muscles. La rupture est le fait d’une contraction musculaire produite à propos, en un certain point de moindre résistance. Le mécanisme d’exécution en est très curieux. Deux points en sont particulièrement surprenans : la facilité apparente de l’amputation et son innocuité. La facilité de l’opération a fait quelquefois conclure à la fragilité de l’organe. Mais ni la queue du lézard ou de l’orvet, ni la pince du homard ne sont fragiles en réalité. Nous nous en rendons bien compte pour le homard qu’on sert sur nos tables : ce n’est pas sans effort que nous parvenons à détacher ses pattes. Pour la queue de l’orvet, L. Frédericq a eu la curiosité de mesurer sa résistance à l’arrachement. Il a, chez un orvet mort qui pesait 19 grammes, attaché à l’extrémité de la queue des poids croissans jusqu’à ce que la rupture s’ensuivît. Il fallut employer une charge de 490 grammes, c’est-à-dire plus de vingt-cinq fois supérieure au poids de l’animal. Contejean, pour arracher la patte