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princières d’Europe, ses ancêtres levaient des armées pour conquérir des royaumes ou pour délivrer des reines captives[1].

Le héros déifié Rama, père de la race solaire, ainsi qu’il est dit dans le Ramayana, eut deux fils, dont l’aîné fonda Lahore. Les arrière-descendans du second, vers le milieu du IIe siècle, étendirent leur domination sur les peuples radjpoutes ; cependant, lors du grand sac des barbares du Nord, en 524, tous les princes de cette famille furent massacrés, excepté la reine, qui accomplissait un pèlerinage ; elle était enceinte et se cacha dans une caverne, où elle mourut en donnant le jour à un fils. De pieux brahmes recueillirent l’enfant ; mais il fut difficile à garder, car son sang royal le poussait aux exercices sauvages des Bhils de la montagne ; ceux-ci bientôt le choisirent pour chef, et l’un de leurs guerriers, se coupant un doigt, le marqua au front avec son sang, en signe de royauté. L’an 723 enfin, les descendans de ce fils de la caverne s’établirent ici même comme souverains ; leur lignée n’a cessé d’y régner depuis cette époque, et aujourd’hui encore, après treize siècles, l’usage s’est conservé à Odeypoure de faire marquer de sang au front chaque nouveau roi, par la main farouche d’un Bhil, en mémoire de cette rude origine.

Le landau s’arrête dans une cour intérieure, plantée de palmiers et de cyprès, où me reçoit un officier de la maison royale, en robe blanche.

Comme chez tous les princes de l’Inde, il y a plusieurs palais ; celui que l’on me montre d’abord est moderne, avec des salons européens, des glaces, des dressoirs chargés d’argenterie, des billards, — et tout cela, dans cette ville si indienne, est stupéfiant d’imprévu.

Mais le Maharajah préfère la vieille demeure de ses ancêtres ; c’est là qu’une audience de lui me sera donnée, et il est l’heure de s’y rendre.

D’abord nous traversons quantité de jardinets et de couloirs silencieux. Et puis soudain, au sortir d’une haute porte ogivale à battans de cuivre, voici une foule, des clameurs, d’assourdissantes musiques : nous sommes dans une immense cour, un carrousel pour les combats d’éléphans ; d’un côté, le vieux palais domine de toute sa majestueuse façade blanche, ornée de sculptures

  1. L’expédition de Ceylan, relatée dans le Ramayana.