débarquèrent les agens et les sacs de dépêches et installèrent de force le bureau, sous la protection de deux cuirassés et d’un croiseur qui stationnaient en rade.
Cet incident et d’autres de même nature, l’apparition de plus en plus fréquente du pavillon de Savoie sur les côtes des Syrtes, l’augmentation du commerce italien, de fréquentes missions d’officiers ou de voyageurs, enfin les déclarations de M. Delcassé et de M. Prinetti au sujet de la Tripolitaine, tout contribuait donc, à l’automne 1901, à alarmer la Sublime Porte. Mais la Tripolitaine, — bien qu’on paraisse parfois n’y plus songer, — n’est pas une terre sans maître ; elle n’est pas non plus le domaine de quelque roitelet africain ; c’est une province de l’empire ottoman, et sa situation ne peut être en aucune façon assimilée à celle de la Régence de Tunis avant 1881, ou à celle du Maroc indépendant. A Tripoli, en Cyrénaïque, dans le Fezzan, et même à Rhadamès et à Rhât, l’autorité du Sultan est solidement établie ; elle s’appuie sur toute une administration, sur une nombreuse et solide armée que le gouvernement turc a, depuis quelques mois, considérablement renforcée. Bien qu’il soit difficile de le savoir exactement, le corps d’armée d’occupation semble compter plus de 15000 hommes ; il est pourvu d’une bonne cavalerie, d’une artillerie qu’un colonel allemand au service de la Porte vient de réorganiser ; de pareilles troupes pourraient tenir longtemps autour de Tripoli. De plus, le Sultan, inquiet des ambitions avouées de l’Italie, a récemment institué, dans ses provinces africaines, une sorte de conscription ; cette réforme n’a pas été appliquée sans quelque résistance de la part des tribus, et des troubles ont éclaté à l’automne 1901 ; mais, actuellement, l’organisation des contingens indigènes est en bonne voie et l’on) estime qu’ils fourniraient, en cas de guerre contre l’infidèle, 1 200 cavaliers réguliers et 3 000 Hamidié, 8 000 fantassins réguliers et 12000 Hamidié. Un envahisseur, parvenu à se rendre maître de Tripoli et du plateau de Barka, devrait encore s’enfoncer dans le désert, jusqu’au Fezzan, et peut-être plus loin encore, et y consumer ses forces dans une lutte sans gloire et sans profit. 50 000 hommes et 100 millions suffiraient à peine pour mener à bien une pareille entreprise. C’est sans doute assez pour qu’il ne semble pas, dans les circonstances actuelles, que l’Italie soit à la veille de rompre la paix en portant le premier coup à l’édifice encore solide de l’empire ottoman et en débarquant ses troupes sur les côtes des Syrtes.