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Goldberg six bataillons prussiens conduits par von der Goltz. Dans la nuit, il avait pris au corps d’York toute la brigade du prince de Mecklenburg pour la reporter au-devant des Français, à côté de Goldberg, à Niederau. Depuis trois jours, les troupes de York n’avaient point eu de repas chaud.

Le 23, tandis que le prince de Mecklenburg engageait le combat où il perdit un tiers de sa brigade, le reste du corps d’York recevait, à huit heures du matin, l’ordre de se porter en avant, à onze heures, pour appuyer à Goldberg les troupes prussiennes engagées. A deux heures, revirement complet. Le prince de Mecklenburg était rejeté en arrière. Le reste du corps prussien, arrivé à une lieue de Goldberg, reçut un nouveau contre-ordre, qui le ramena sur les positions qu’il venait d’abandonner quelques heures auparavant, puis, au commencement de la nuit, l’ordre de reculer encore jusqu’en arrière de Jauer.

Le commandement supérieur perdait de plus en plus de son autorité dans ses incessantes fluctuations. Il fallait quelque réflexion et beaucoup de bonne volonté pour y discerner le résultat d’un calcul. Les commandans des corps d’armée n’avaient point le secret des ordres et des contre-ordres qui les harcelaient. Ils étaient, nous le savons, disposés à incriminer le commandement. Ils ne firent point la part de ce qui était conception stratégique, incertitude dans les renseignemens ou incertitude dans la direction.

Lorsque York comprit le but que poursuivait l’état-major de Blücher, il en discuta les moyens d’exécution. Il était possible, disait-il, d’obtenir les mêmes résultats sans épuiser et désorganiser au même degré les troupes. Au lieu de mettre, au moindre bruit, l’armée tout entière en branle, il conseillait de suivre seulement avec une avant-garde les mouvemens de l’ennemi.

Le débat n’est point sans intérêt. Gneisenau représente la foi illimitée dans l’action des forces morales, de la volonté du chef qui rend possible ce qu’il commande. York, tout résolu qu’il est lui-même, expert de vieille date dans le contact et la direction des troupes, habitué à tendre leurs efforts et leur vigueur, mais sentant les limites qu’il ne faut point franchir et répugnant à les franchir, fait valoir les droits de la matière humaine.

Le succès n’a peut-être point tranché définitivement ce débat au profit de l’état-major de Blücher. Il est permis de penser qu’il y eut quelque excès inutile dans les allures de la direction.