qu’un poison. Ils lui refusent de pouvoir être jamais hygiénique, jamais alimentaire, jamais inoffensif. — Selon la pure doctrine, on commettrait un abus de mots quand on appelle boissons hygiéniques et naturelles le vin, la bière et le cidre. Tous ces liquides sont du poison dilué, comme l’eau-de-vie est du poison concentré.
C’est là une doctrine excessive que les physiologistes ne sauraient ratifier. La nocivité d’une substance commence à un certain point, au-delà d’une certaine dose limite. La toxicité est tout aussi bien relative à la dose qu’à la substance. Et l’on a pu dire sous une forme un peu paradoxale qu’il n’y avait pas de substances toxiques, mais seulement des doses toxiques, ou même des concentrations toxiques. Les exemples abondent : tous les composés chimiques de l’organisme peuvent devenir nuisibles s’ils sortent des proportions réglées. Les conditions physiques donnent lieu à la même remarque. Il faut dans le milieu intérieur, dans le sang, une certaine proportion d’eau, une certaine proportion de chlorure de sodium, une certaine quantité d’oxygène, un certain degré de chaleur : il n’en faut ni trop ni trop peu. — Les conditions du milieu vital sont, comme on l’a dit, des conditions de juste milieu. Si quelque élément s’écarte de la règle, il agit d’une manière nuisible : il devient toxique par une infraction à la loi de la mesure. — Il en est sans doute ainsi pour l’alcool : — sa nocivité ne commence certainement qu’au-delà d’une certaine dose. En deçà, il reste une zone maniable où les perturbations qu’amène sa présence restent contenues dans les limites de l’oscillation physiologique : et l’on conçoit que l’effet bienfaisant de l’excitation puisse subsister seul, l’effet nocif ne commençant que plus loin.
Mais si ces absorptions anodines se répètent, l’effet nocif pourra devenir sensible. A plus forte raison si la dose isolée est déjà altérante. En d’autres termes la chronicité de l’alcoolisation peut produire des désordres ; et ces désordres peuvent devenir considérables en proportion de ceux qui succèdent à un excès isolé. En général, l’alcoolisation accidentelle qui ne va point jusqu’à l’ivresse, et l’ivresse elle-même ne laissent pas de traces, si elles ne sont point suivies de rechutes. Répétées, elles conduisent aux désordres de l’alcoolisme avéré, puis de l’alcoolisme chronique. Alors l’alcool se manifeste dans toute sa perversité. Il apparaît comme poison. Les troubles qu’il produit sont de deux ordres : d’ordre physique et d’ordre moral.