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sauf-conduit, pour recommander au gouvernement de l’Hôtel de Ville le projet d’armistice, bien entendu sous la réserve du ravitaillement. Sa mission fut accueillie favorablement, dans ces termes, par M. Jules Favre et ses collègues, et il fut aussitôt invité à discuter cette affaire à Versailles, avec le Chancelier allemand.

On vit alors combien l’initiative de lord Granville, timide et mal définie, l’engageait, en vérité, à peu de chose. M. de Bismarck en comprit sur-le-champ le caractère incertain. Edifié à cet égard, et voyant dans cette réserve un témoignage des hésitations du Cabinet britannique, il s’empressa d’interpréter à son gré le sens du mot « armistice, » énoncé sans explication. Il se donna le mérite facile de l’accepter en principe et de déférer ainsi aux conseils de l’Angleterre ; mais, en même temps, rien n’étant convenu en ce qui concernait les clauses, il discuta d’abord la durée de la suspension d’armes, et surtout l’entrée des vivres dans Paris pour le temps où les hostilités seraient interrompues. Il affecta même de considérer cette demande comme une exigence présentée exclusivement par nous et comme une preuve de notre mauvais vouloir. La triste insurrection du 31 octobre, survenue au moment même où M. Thiers arrivait à Versailles, lui fournit en outre un argument à la fois contre notre gouvernement et contre l’autorité de notre négociateur. Il déclara donc nos prétentions inadmissibles, doublement satisfait d’écarter des pourparlers suggérés par les neutres, et de complaire à l’Etat-major allemand, toujours opposé à tout retard dans les opérations militaires. Lui-même, d’ailleurs, ainsi qu’il l’a exposé dans une circulaire aux agens prussiens à l’étranger, estimait que les troupes et la population assiégées trouveraient dans l’introduction de vivres à Paris, si limitée qu’elle pût être, un encouragement à repousser les conditions qu’il entendait nous imposer, et que nous avions trop d’intérêt à l’armistice ainsi conclu pour qu’il lui fût possible d’y souscrire

Quoi qu’il en fût, il jouait son jeu, et usait de son droit en nous plaçant dans l’alternative d’accepter l’armistice sans ravitaillement ou de nous en remettre de nouveau à la fortune des armes. Après avoir vainement discuté avec lui les raisons juridiques et de simple équité sur lesquelles se fondait notre demande, M. Thiers, lorsqu’il revint à Paris, se montrait fort découragé et penchait évidemment pour la résignation à l’armistice pur et simple. Le gouvernement de la Défense nationale ne fut point de